Cartello, 39

Plus-un

Édito

12/12/2022
Dominique Corpelet

Le cartel n’est pas un groupe. Cela tient à deux raisons. Temporelle d’abord : le cartel n’est pas amené à durer. Il comporte d’emblée un terme. La fin, prévue d’entrée de jeu, ne permet pas de s’installer durablement dans un confort de groupe. Logique, ensuite : et cela tient notamment au plus-un, inscrit par Lacan dès l’ « Acte de fondation » en 1964, et réitéré en 1980 dans Dissolution.

Mais quelle est cette fonction du plus-un ? Lacan précise qu’il est « chargé de la sélection, de la discussion et de l’issue à réserver au travail de chacun »1Lacan J., Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.. « Il veille aux effets internes à l’entreprise, et d’en provoquer l’élaboration. »2Lacan J., Aux confins du Séminaire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Navarin, 2021, p. 56.

Le plus-un permet d’introduire dans le cartel une tension, et c’est une affaire de logique. Dans « La passe à l’entrée », J.-A. Miller distingue deux logiques du tout. D’abord celle du pour tous, qui se soutient de l’existence d’une exception ; et celle du pas tout, lorsqu’il est impossible de dire : tous. Le cartel, dit-il, relève de ces deux logiques : d’une part la logique du tout en tant qu’il est un ensemble qui se soutient de la place extime d’un plus-un. D’autre part, le cartel s’oppose à la logique du tout, puisque c’est au un par un que les cartellisants s’y engagent.

Il y a dès lors dans le cartel une tension entre le un par un et le tout. Cette tension, ravivée à chaque cartel, freine tout élan de colle et tout appel à une chefferie. Car le plus-un, s’il est leader3Miller J.-A., « Cinq variations sur l’élaboration provoquée »., n’est pas chef. Il occupe une fonction, pour un temps donné, puis il la quitte. Le cartel a ainsi un effet détotalisateur4Miller J.-A., Comment finissent les analyses. Paradoxes de la passe, Paris, Navarin, 2022, p. 161..

La commission des cartels a voulu consacrer un numéro de Cartello à la fonction du plus-un. Cinq collègues en parlent, sous un angle chaque fois singulier. Isabelle Orrado montre que la fonction du plus-un vise un moins-un, comme dans la logique du jeu du taquin. Dominique Pasco décortique cette fonction de plus-un qui décomplète, en prenant l’exemple d’un cartel fulgurant auquel elle a participé. Beatriz Gonzalez-Renou souligne combien le plus-un s’engage à partir de son manque. Ce qui le décolle de toute place de chef. Cécile El Maghrabi Garrido démontre que le plus-un est au service de ce qu’elle nomme un invisible – un savoir à venir qui cause le désir et invite à dire. Enfin, Marie Poulain-Berhault revient sur sa première expérience en tant que plus-un, dans un cartel qui a mis au travail la question de la mélancolie. Un bout de savoir s’en est dégagé, dans un discours nouveau.


Dominique Corpelet est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.

  • 1
    Lacan J., Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.
  • 2
    Lacan J., Aux confins du Séminaire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Navarin, 2021, p. 56.
  • 3
  • 4
    Miller J.-A., Comment finissent les analyses. Paradoxes de la passe, Paris, Navarin, 2022, p. 161.