Proposée par Jacques Lacan en 1967, la passe est ce dispositif visant à attester de l’effectivité d’une analyse menée à son terme. Il offre d’en vérifier la logique par une transmission à un jury. Cette invention s’institue comme réponse, en acte, au questionnement de Freud quant à l’impossible terminaison des cures butant sur le roc de la castration, mais aussi à la manière dont les analystes font école.
Enjeux
Il s’agit d’élucider les ressorts du passage de la position d’analysant à celle de psychanalyste. Pour Lacan, il n’y a que l’analyse qui, si elle est menée à son terme logique, produit l’analyste. L’enjeu politique consiste donc à dissiper « l’ombre épaisse1Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 246.» recouvrant ce passage à l’analyste que les pratiques de cooptation des sociétés de psychanalyse laissent planer. Le dispositif de la passe est construit pour rendre transmissible le désir de l’analyste en le rapportant à ce qui, dans la cure analytique elle-même de l’analysant, donne lieu à son émergence. C’est ce point, et nul autre, qui permet de garantir la formation de l’analyste.
La procédure
L’École de la Cause freudienne a choisi, dès sa création, de prendre au sérieux cette invention de Lacan en en poursuivant l’expérience. L’École donne les moyens de son opérativité en organisant son fonctionnement. Elle est tournée vers ses résultats qui vérifient qu’il y a de l’analyse dans le discours qui s’en délivre, et du psychanalyste à l’issue de l’expérience qu’elle convoque. La passe, procédure qui permet de rendre compte de la fin de l’analyse est au cœur de l’École, comme elle est une pièce essentielle de l’enseignement de Lacan sur le psychanalyste. C’est donc la commission de la passe qui a la charge de nommer Analyste de l’École (AE) celui qui aura transmis les effets et les conséquences de son analyse, jusqu’à atteindre l’os de sa cure2Cf. Miller J.-A., L’os d’une cure, Paris, Navarin, 2018., réel autour duquel il tourne jusqu’à cerner la solution sinthomatique qu’il est en voie d’extraire et lui permettant d’aller au-delà de son propre cas.
L’analysant qui pense être arrivé au terme de son analyse et souhaite entrer dans la procédure pour le vérifier, adresse ainsi sa demande au Directeur de la passe. Devenu passant, il témoigne de son parcours analytique auprès de deux passeurs tirés au sort, analysants choisis par leur analyste pour être eux-mêmes à un moment de passe propre à leur permettre d’entendre les enjeux du témoignage et sa formalisation inédite. Afin d’éprouver si ce cheminement logique « passe », ce sont ces passeurs, et non le candidat lui-même, qui se feront le relais de ce témoignage auprès du cartel de la passe. Si le témoignage convainc, le candidat est nommé au titre d’AE, et ce, pour une durée limitée, au cours de laquelle il est mis en position de témoigner des problèmes cruciaux pour la psychanalyse. L’AE est ainsi mis au travail de produire du nouveau pour la psychanalyse, et s’engage à dispenser un enseignement qui ouvre des perspectives d’élaboration clinique, politique et épistémique.
Incidences
Faire la passe est une décision de l’analysant, et ne constitue pas une demande de validation d’un cursus mais, bien plutôt, la mise en forme d’un désir : celui de l’analyste.
L’AE se fait responsable de l’expérience de l’École en tant que sujet3Miller J.-A. « Théorie de Turin sur le sujet de l’École », La Cause freudienne, n°74, Paris, Navarin, 2010, p. 132-142 et, à ce titre peut s’autoriser à analyser cette expérience au-delà des effets du malaise de la civilisation.
« Le redépart de la passe » – textes de la Journée du 7 octobre 2023
La première Journée de la passe, le 7 octobre 2023, a constitué un événement important pour l’École. Elle ponctuait la première année de la reprise de la procédure par la présentation et la discussion des exposés des membres des deux cartels et de la Directrice de la passe.
Les inscrits à la Journée, présents au Réfectoire des Cordeliers à Paris ou par le webinaire, ont pu entendre comment chacun d’eux élaborait et questionnait son expérience. Une large place a été faite au débat et aux échanges, sur le vif. La passe aujourd’hui, ses enjeux, ses convergences, ses dissonances, ses tonalités diverses, ses perspectives : on a pu en avoir des aperçus, en saisir des bribes, et repartir avec ses propres avancées et ses propres interrogations.
Il m’a paru important de laisser une trace de ce travail et même d’élargir l’auditoire en offrant à qui veut saisir quelque chose de ce work in progress, jamais fini, qu’est la passe, une brochure électronique qui réunit les exposés.
Je remercie ici celles et ceux qui ont contribué à sa fabrication. Je vous en souhaite bonne lecture.
Anne Lysy,
Directrice de la passe
- *Miller J.-A., « La passe du parlêtre », La Cause freudienne, n°74, avril 2010, p. 118., disponible sur Cairn.info
- 1Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 246.
- 2Cf. Miller J.-A., L’os d’une cure, Paris, Navarin, 2018.
- 3Miller J.-A. « Théorie de Turin sur le sujet de l’École », La Cause freudienne, n°74, Paris, Navarin, 2010, p. 132-142