J.-A. Miller, Textes de J.-A. Miller

La passe du parlêtre

Extraits

Dans une analyse, le sujet découvre ce qui le cause. La supposition d’un savoir inconscient devient un savoir effectif, que le sujet pourra transmettre dans la passe.
Pourtant, cette vérité ne pourra jamais résorber le réel. Dès lors, une tout autre version de la passe s’appuie, non plus sur le savoir et la vérité, mais sur la satisfaction obtenue en fin d’analyse. Où il est question de déjouer toute vraisemblance aussi bien que toute ressemblance.

[…]

Dans la doctrine classique de la passe, ce qui apparaît comme le pivot d’une analyse et de sa fin, c’est le désir du psychanalyste – réponse |de Lacan] à ce qui commençait à être en vogue dans les milieux de l’Association internationale de psychanalyse, à savoir le contre-transfert. […] C’est à cette place que Lacan inscrivait le désir de l’analyste, mais en lui donnant une tout autre valeur que celle du contre-transfert, puisque, par désir de l’analyste, il entendait une fonction symbolique trouvant à s’incarner dans l’analyste, sans pour autant mobiliser en lui son inconscient.

Pour être bref, disons que le désir de l’analyste, c’est la question : Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Tout ce que je dis, moi, l’analysant, qu’est-ce que tout ça veut vraiment dire ? C’est cette question, transposée en termes de volonté. C’est la question de la signification, mais où le veut – qu’est-ce que ça veut dire ? – se détache sur le dire, où le vouloir se détache sur le dire et devient un Que veut-il, l’analyste ? […] Et ça s’inverse, en retour, sur le sujet – l’analysant – en un Que veux-tu ? On n’obtient tous ces beaux effets qu’à la condition que le désir de l’analyste reste voilé, crypté. À cet égard, le désir de l’analyste, c’est le Qu’est-ce que ça veut dire ? porté à l’incandescence. […] Ce que Lacan appelle sujet supposé savoir est un certain effet de signification […]. C’est, pour simplifier, la supposition de l’inconscient. C’est la notion selon laquelle ce que l’on dit en analyse veut dire autre chose.

Cette supposition de l’inconscient s’avère nécessaire pour recueillir ce qui apparaît comme les mots, les expressions, les signifiants déterminant le sujet, de telle sorte que le savoir – qui est au départ seulement supposé, seulement une signification – s’effectue progressivement au cours de l’analyse, et que s’accumulent les signifiants articulés constituant un savoir, savoir que le sujet devient. Le sujet, qui est, au départ, un savoir seulement supposé devient, par l’expérience analytique, un savoir effectif

À mesure que disparaît le sujet qui ignorait la cause de son désir, émerge le sujet savant. C’est ce savoir que la passe tente de soutirer au sujet.

J.-A. Miller

[…]

L’analyse produit un savant. L’analysant est essentiellement le savant de son désir. Il sait ce qui cause son désir. Il sait le manque où s’enracine son désir, et il sait le plus-de-jouir qui vient obturer ce manque.

À la fin de l’analyse, nous avons donc un sujet qui sait. C’est dans ce contexte que la passe prend sa valeur : le sujet a à dire ce qu’il sait, c’est-à-dire de quelle façon s’est remplie la place vide du sujet supposé savoir, de quelle façon ce savoir s’est effectué pour lui, comment il est passé de la supposition au recueil de ce qui apparaît comme un signifiant clé, et puis d’un autre, qui ne sont pas forcément compatibles. Des transformations ont donc lieu.

[…]

C’est une tout autre perspective sur quoi nous achoppons dans l’ultime écrit de Lacan, « Préface à l’édition anglaise du Séminaire xi». D’abord, parce que c’est le concept même du savoir qui y est mis en question, au point que le mot n’y figure plus. […] L’expression qui surgit dans cet ultime écrit, celle de vérité menteuse [,] désigne, aussi exactement que possible, le statut du savoir comme élucubration. […]

Le passant de la doctrine classique de la passe est supposé témoigner d’un savoir, alors que celui que Lacan nous amène à la fin de son enseignement – au moment où il est en train de préparer, d’élucubrer le concept du sinthome, c’est-à-dire de s’affronter sans médiation au statut de la jouissance –, ce passant-là, ne peut témoigner que d’une vérité menteuse.

L’analyse, en tant que telle, […] est affaire de satisfaction.

J.-A. Miller

[…]

La passe, c’est deux choses. C’est un événement, et c’est une procédure. C’est un événement supposé intervenir dans le cours de l’analyse, et c’est, à la suite, une procédure offerte à celui qui pense avoir été le sujet de cet événement, afin qu’il puisse en communiquer quelque chose à une communauté analytique.

Or, dans cet ultime texte de Lacan, nous n’avons rien sur l’événement – pas un mot. […] Alors que, dans le moment où il invente la passe, Lacan consacre l’essentiel à l’événement-passe, il n’y rien d’autre dans ce texte ultime que cette indication, bien mince : à la fin de l’analyse, il y a satisfaction. Le seul terme de l’analyse, c’est, je le cite, « la satisfaction qui marque la fin de l’analyse ». […] Il faut entendre que ce qu’il appelle ici satisfaction vectorialise, oriente tout le cours d’une analyse ; une analyse se déploie essentiellement dans le malaise – terme freudien –, dans le mal-être, dans l’inconfort, et qu’on peut isoler et accréditer ce qui surgit comme témoignage de satisfaction.

[…]

Une psychanalyse est sans doute une expérience qui consiste à construire une fiction. […] Mais en même temps, ou ensuite, c’est aussi une expérience qui consiste à défaire cette fiction. Cela veut dire que la psychanalyse, ce n’est pas le triomphe de la fiction. La fiction y est plutôt mise à l’épreuve de son impuissance à résoudre l’opacité du réel. Alors, Qui serait analyste ?

[Quelqu’un] qui, donc, pourrait donner témoignage de la vérité menteuse sous une forme apte à serrer le décalage entre la vérité et le réel.

S’il fallait chercher un critère de la passe ainsi entendue, […] ce serait déjouer toute vraisemblance. Il y a, dans la passe, quelque chose d’invraisemblable, c’est-à-dire qui passe la semblance du vrai. Et, aussi bien, déjouer toute ressemblance. […] Un analyste, ce serait quelqu’un qui saurait mesurer l’écart entre vérité et réel, et qui, par là, saurait instituer l’expérience analytique. 

La passe du parlêtre, ça n’est pas le témoignage d’une réussite, c’est le témoignage d’un certain mode de ratage.

J.-A. Miller
Références
"La passe du parlêtre"
J.-A. Miller
Revue
La Cause freudienne, n°74
Éditeur
École de la Cause freudienne
Année
2010
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Plus d'informations

« La passe du parlêtre », leçon du 21 janvier 2009 du cours « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, La Cause freudienne, n° 74, 2010, p. 113-123.

Texte transcrit et établi par Jacques Peraldi, édité par Yves Vanderveken.

Proposition du 9 octobre 1967
J. Lacan
La passe bis
J.-A. Miller
Est-ce passe ?
J.-A. Miller
Acte de fondation
21 juin 1964
J. Lacan
L’École et son psychanalyste
J.-A. Miller