J.-A. Miller, Textes de J.-A. Miller

L’École et son psychanalyste

Extraits

Quels sont les principes de fonctionnement de l’École ? Tout d’abord le travail, puis le travail encore et toujours. Et ce, précise Jacques-Alain Miller, grâce à des piliers essentiels : le cartel, le transfert, un contrôle interne et externe…
L’ « Acte de fondation », ajoute J.-A. Miller, comporte aussi une anticipation de la passe, où le candidat témoignera de ce qui lui fait penser que son analyse est terminée. Gaîté de rigueur.

[…]

Le « Je fonde » de Lacan est un performatif efficace parce qu’il a tenu son Séminaire pendant dix ans, Séminaire qui est la condition contextuelle de ce « Je fonde » […]. Il n’arrive pas en disant « Je suis la vérité », mais comme un travailleur ayant déjà présenté un travail argumenté de dix années, considérant que son énonciation n’est pas sans garantie. C’est toujours conjoncturel, toujours dans l’après-coup, nachträglich, que cela trouve sa garantie.

Un signifiant se distingue dans la première partie de l’Acte de fondation : le travail.

J.-A. Miller

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On n’entre pas à l’École pour se reposer, mais pour y travailler, et travailler encore : l’École est « l’organisme où doit s’accomplir un travail. […] Cet objectif de travail est indissoluble d’une formation à dispenser dans ce mouvement de reconquête. […] L’enseignement de la psychanalyse ne peut se transmettre d’un sujet à l’autre que par les voies d’un transfert de travail. » […] Ici, il ne s’agit que du travail, et du travail produit par des cartels, c’est-à-dire par des petits groupes. L’École est un groupe formé par des groupes et Lacan en a été le plus-un. Un travail soumis à une critique et à un contrôle interne et externe. […]

La répétition du mot « travail » vient recouvrir l’absence d’un autre signifiant qui n’apparaît pas ici. Dire que l’École est un organe de travail, c’est dire qu’elle n’est pas un organe de reconnaissance des analystes. Si une reconnaissance s’effectue au niveau de l’École, c’est celle d’un travail. Lacan assure que le travail sera reconnu : « Rien ne sera épargné pour que tout ce qu’ils feront de valable, ait le retentissement qu’il mérite, et à la place qui conviendra. » C’est une promesse de reconnaissance du travail. […]

Malgré tout ce qui régule la pratique dans cet « Acte de fondation », il y a quelque chose qui supprime les règlements, mais cela maintient à la fois l’exigence du contrôle, de la supervision, comme responsabilité de l’École [;] la formation est de la responsabilité de l’École, non pas d’un analyste membre de l’École, mais de l’École dans son ensemble. […] Quand Lacan parle, à la fin de ce paragraphe, de « l’induction même à quoi vise mon enseignement », il fait référence à ce qu’il appellera, dans la « Note adjointe », le « transfert de travail ». Il s’agit d’un enseignement non pas fermé sur lui-même, mais produisant des effets au-delà de lui-même, induisant les autres à faire ce travail.

L’École est en relation avec la société d’aujourd’hui, pour accepter, non pas ses valeurs, mais d’y être présente.

J.-A. Miller

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Dans le passé, Lacan avait déjà critiqué l’extraterritorialité des sociétés analytiques qui se ferment au reste de la culture, de la science, aux problèmes sociaux… Le contrôle externe signifie pour Lacan que l’École doit se soucier, être attentive, s’ouvrir au monde contemporain. […]

Quelle est la relation de la psychanalyse avec la science, comment éclairer le statut du psychanalyste et comment le justifier par rapport à la science ? […] Lacan répète que le statut de la psychanalyse ne peut pas être celui d’une expérience ineffable […].

Il serait trop commode pour les analystes de refuser toute demande de rendre compte de ce qu’ils font parce que la psychanalyse n’aurait rien à faire avec les choses de ce monde. Ce serait un domaine abstrait, subtil, une île, une soucoupe volante : nous sommes en pays freudien, y ayant une souveraineté complète, et nous n’aurions de compte à rendre à personne. Lacan a au contraire toujours insisté sur l’idée que l’on a des comptes à rendre.

Lacan cherchait une solution à ce qu’est la fin de l’analyse, non pas à partir d’une discussion entre analystes, mais par ce qui se passe entre analystes et analysants.

J.-A. Miller

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C’est comme une anticipation de la passe. Exiger, convier ceux qui terminent une analyse à témoigner de celle-ci. […] Il s’agit de demander, dans la procédure de la passe, à quelqu’un qui a fait une analyse, ce qui lui fait penser que son analyse est terminée […].

Les expressions de Lacan sont précieuses lorsqu’il confesse ce qui est advenu de son désir de savoir au moment où il s’est rendu compte que, bien qu’ayant conduit plusieurs cures analytiques jusqu’à leur fin, il n’avait pas un savoir complet sur ce qui s’y était passé, et qu’il voulait en obtenir un témoignage dans un autre cadre. […] Avant la fin de l’analyse, le témoignage valide est celui de l’analyste, non celui de l’analysant, mais, à la fin, quelque chose échappe à l’analyste, et c’est seul l’analysant qui peut en témoigner. […]

Pour Lacan, le passeur est comme le candidat n’ayant pas encore fini sa thèse, mais encore au travail [;] il s’agit d’un dispositif qui sanctionne la capacité de ceux qui sont en avant, avec la participation de ceux qui impulsent derrière. [Les] passeurs entrent dans le dispositif en tant qu’ignorants. Lacan dit qu’ils doivent recueillir le témoignage et témoigner aussi de ce que ça leur fait de l’écouter.

La passe signifie que l’on est passé du tragique de son histoire personnelle à son aspect de comédie.

J.-A. Miller

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Le charme du dispositif est d’avoir la même structure que le Witz, le mot d’esprit. Le passant raconte son histoire aux passeurs et les passeurs répètent cette histoire au jury. On a là une structure de transmission : l’histoire tragique du passant – comme celle de tout le monde – se transforme en une comédie […]. Ce n’est pas un drame. Si tragédie il y a, elle se situe avant la passe. […] Le sujet peut faire la passe au moment où il a pris une distance avec son expérience, qui lui permet de voir que sa vie tragique a été dominée par quelques signifiants qui jouaient entre eux, que quelques mots faisaient des mots d’esprit entre eux. Ce n’est pas terrible de parler de cela. Le terrible, c’était au contraire avant. La passe signifie qu’avec les impasses de son existence, on réussit à faire une comédie.

Références
"L’École et son psychanalyste"
J.-A. Miller
Revue
Quarto, n°110
Éditeur
École de la Cause freudienne
Année
2015
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Extraits de « L’École et son psychanalyste », conférence donnée le 27 octobre 1990 à Grenade, Quarto, no 110, 2015, p. 10-19.

Traduction d’Alicia Buckstein, non revue par l’auteur.

Texte et notes établis par Catherine Bonningue.

Acte de fondation
21 juin 1964
J. Lacan
Théorie de Turin sur le sujet de l’École (2000)
J.-A. Miller
Point de capiton
J.-A. Miller
D’écolage
J. Lacan
Proposition du 9 octobre 1967
J. Lacan