Terminer son analyse, ce n’est pas atteindre le vrai de vrai, mais cerner en quoi le vrai servait à couvrir un réel irréductible. Ce passage de l’inconscient transférentiel à l’inconscient réel définit la passe.
Le transfert ne s’évapore pas pour autant. Mais il peut se détacher de l’analyste pour se nouer à la cause analytique. Le transfert à l’analyse naît de ce rebroussement. C’est la passe bis, qui s’élabore dans la solitude.
[…]
J’ai introduit la différence de l’inconscient transférentiel et de l’inconscient réel. […] Pour amener cette notion et la situer dans un couple d’oppositions – l’inconscient transférentiel et l’inconscient réel –, je me suis emparé de ce que Lacan avait soigneusement voilé dans une incise de ce dernier petit écrit que j’intitule « L’esp d’un laps1[NDE] Il s’agit de la « Préface à l’édition anglaise du Séminaire xi », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 571-573. Ce dernier texte des Autres écrits commence par la phrase suivante : « Quand l’esp d’un laps, soit puisque je n’écris qu’en français : l’espace d’un lapsus, n’a plus aucune portée de sens (ou interprétation), alors seulement on est sûr qu’on est dans l’inconscient. »». Il invite à ce qu’on le suive dans sa définition de ce qu’est l’inconscient, soit réel2Ibid., p. 571. Cf. aussi Miller J.-A., « L’inconscient réel », Quarto,no 88/89, Bruxelles, 2007.. Cela fait trou dans son enseignement.
[Lacan] indique ce qui est la loi de toute interprétation – il y a derrière tout lapsus une finalité signifiante. [Celle-ci] invite à donner portée de sens ou d’interprétation aux formations de l’inconscient. Elle suppose qu’il y a, par en dessous, une vérité qui cherche à se faire entendre, à percer. C’est de mettre en question la notion même de la finalité signifiante des formations de l’inconscient que Lacan isole l’inconscient réel, qui est un inconscient sans le refoulement.
Lacan a appelé passe la sortie de l’inconscient transférentiel […]. La passe bis est l’envers de la passe. Elle suppose franchi un point de rebroussement.
J.-A. Miller
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Un troisième terme s’ajoute à ceux d’inconscient transférentiel et d’inconscient réel : la passe. Cet ajout produit un effet de sens – à l’orienter de l’inconscient transférentiel à l’inconscient réel. […] Lacan a appelé passe la sortie de l’inconscient transférentiel, moment où se transforme radicalement le rapport au compagnon analyste, ce soi-disant bon samaritain. Liquidation, comme on dit et comme le répète Lacan […], si inadéquat soit-il, ce mot de liquidation dit quelque chose. Liquidation du transfert-pour. À entendre pour l’analyste, avec son cortège d’affects […].
La fonction de l’esp d’un laps, où le lapsus, formation de l’inconscient, n’a plus aucune portée de sens (ou interprétation)3Ibid. s’inscrit, de la façon la plus claire, dans ce moment. C’est alors qu’on peut parler de sortie de l’inconscient transférentiel […] On a pensé, avec Freud, et après Freud, qu’une fois fermée cette parenthèse, on avait pourtant à continuer de s’analyser, sans analyste, dans la solitude. On serait allé, à l’occasion – régulièrement, voulait Freud –, remettre ça, pour une tranche. […] Lacan, a imaginé de proposer une autre voie, celle qui consisterait à établir une relation à la cause analytique. Ce qui se dessine comme la passe bis. Elle est orientée dans le sens contraire, de l’inconscient réel vers l’inconscient transférentiel.
Attention ! Pas un nouveau transfert pour l’analyste. Le transfert à l’analyse – pour ce que ça peut vouloir dire. C’est en tout cas la valeur que Lacan a donnée à ce qu’il appelait en 1964 la relation à la cause analytique […]. La passe bis est l’envers de la passe. Elle suppose franchi un point de rebroussement, pour le dire en termes topologiques. Ce n’est pas, dans l’idée que Lacan en propose, un retour au statu quo ante.
[Lacan] a un mot pour qualifier l’opération de la passe bis : hystorisation, une histoire hystérisée4Ibid.,p. 573.. Une histoire qui est un processus d’historisation intersubjective.
J.-A. Miller
[…]
La passe bis, ce serait l’hystorisation de votre analyse. Pas seulement dégager une logique qui serait le métalangage de votre analyse. Si Lacan dit hystorisation avec un y, c’est bien parce qu’il ne s’agit pas d’objectivation. C’est aussi un théâtre. Il s’agit d’élaborer comment, dans mon analyse, j’ai pu faire du sens avec du réel […].
[La] passe bis se situe en ce point de rebroussement, elle s’élabore dans la solitude, cette solitude qui perce dans la formule l’analyste ne s’autorise que de lui-même […]. Si la passe bis est une épreuve de vérité, la différence, c’est qu’ayant atteint à l’inconscient réel, on est supposé savoir que la vérité est un mirage, que, de la vérité, seul le mensonge est à attendre, dit Lacan5Ibid.,p. 572.. Le mensonge n’est pas une objection à la vérité, le mensonge n’a sens que dans la dimension de la vérité. Le sens de la vérité et du mensonge est ce qui s’éteint au terme nommé inconscient réel. On n’attend pas, dans la passe bis, un témoignage sur le vrai de vrai. Ce serait un mirage. […] Le témoignage attendu, c’est comment quelqu’un, dans son analyse, a su y faire avec la vérité menteuse, comment il s’y est abandonné, englué et – on l’espère – extrait, nettoyé.
En tout cas, le mirage de la vérité a un terme, celui de l’inconscient réel qui se voit, s’apprécie à la satisfaction qui marque la fin de l’analyse. Il n’y a pas de façon plus sobre, plus délicate, de le dire. Il y a fin de l’analyse quand il y a satisfaction. Cela suppose sans doute une transformation du symptôme qui, d’inconfort, de douleur, délivre la satisfaction qui, depuis toujours, l’habitait, l’animait. Le critère est de savoir y faire avec son symptôme pour en tirer de la satisfaction.
[…] Il faut là, non pas se familiariser, mais élaborer ce qui, pour Lacan, était le hiatus, la faille entre le vrai et le réel. Le vrai, c’est ce qu’on croit tel, pouvait-il alors dire. Ce qui rayonne de l’autre côté, c’est l’idée du réel comme dénoué de toute croyance6Lacan J., Le Séminaire, livre xxiv, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 14 décembre 1976, inédit.. Comment définir cette croyance ? Je dirai : mensonge en acte, qui a des effets. La foi, et même la foi religieuse, voilà le vrai, qui n’a rien à faire avec le réel […]. Ceci demande à être resitué là où cette phrase est à sa place, à savoir au niveau de l’inconscient transférentiel, lequel est accroché par Freud à rien d’autre qu’au Nom-du-Père. Le vrai, ce vrai-là, ce vrai de croyance est, dit Lacan, à la dérive quand il s’agit de réel.
La passe bis [suppose] de faire la différence du vrai et du réel, d’élaborer la dérive du vrai, de mesurer ce qui a fait fonction de vérité, dans votre analyse, au regard du réel, qu’on s’employait incessamment à éteindre ou à voiler. Mesurer le vrai au réel.
J.-A. Miller
- 1[NDE] Il s’agit de la « Préface à l’édition anglaise du Séminaire xi », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 571-573. Ce dernier texte des Autres écrits commence par la phrase suivante : « Quand l’esp d’un laps, soit puisque je n’écris qu’en français : l’espace d’un lapsus, n’a plus aucune portée de sens (ou interprétation), alors seulement on est sûr qu’on est dans l’inconscient. »
- 2Ibid., p. 571. Cf. aussi Miller J.-A., « L’inconscient réel », Quarto,no 88/89, Bruxelles, 2007.
- 3Ibid.
- 4Ibid.,p. 573.
- 5Ibid.,p. 572.
- 6Lacan J., Le Séminaire, livre xxiv, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 14 décembre 1976, inédit.