Pas tout dans le savoir, pas de garantie, pas d’universel… L’inconscient se définit comme un savoir non-su. Le sujet, de même que l’Autre, est barré : quelque chose lui échappe. Un trou dans le savoir questionne l’être parlant. Au moment de commencer une analyse, le sujet a l’idée d’un savoir « caché, insu, supposé1Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes » (1989-1990), enseignement prononcé dans le cadre de l’université Paris 8, leçon du 31 janvier 1990, inédit.». L’analysant se met au travail afin de trouver un bout de ce savoir ignoré, en sachant que c’est justement l’amour pour le savoir qui permet l’installation du transfert.
Pour la psychanalyse, il n’y a pas non plus, bien sûr, de savoir tout fait, de savoir fermé, et l’École elle-même est « un lieu de savoir, mais ordonné à un non-savoir2Miller J.-A., Comment finissent les analyses. Paradoxes de la passe, Paris, Navarin, 2022, p. 311.». Ce qui implique que le travail de l’École vise à interroger et déranger tout savoir absolu. Dès lors, s’il n’y a pas d’universel, s’il n’y a pas un savoir pour tous, comment peut-on enseigner et transmettre la psychanalyse ?
Lacan, dans son « Acte de fondation », nous indique que « L’enseignement de la psychanalyse ne peut se transmettre d’un sujet à l’autre que par les voies d’un transfert de travail3Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 236.». On ne travaille pas seulement en analyse, on travaille aussi pour l’École puisque, comme le disait Lacan, la psychanalyse « est un bien commun, l’affaire de tous, et non pas seulement des praticiens4Miller J.-A., Comment finissent les analyses. Paradoxes de la passe, op.cit., p. 315.». Il l’avait bien souligné au moment de fonder son école : pour la faire exister il avait besoin de travailleurs décidés, des travailleurs bien désirants pour « rester avec moi pour la Cause freudienne5Lacan J., Aux confins du Séminaire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Navarin, 2021, p. 55.».
On connait la suite : on s’engage dans l’École par le cartel. Le transfert de travail permet l’engagement dans le travail au sein de l’école, on passe de l’amour du savoir au désir de savoir. Le travail en cartel permet de s’approcher du désir de savoir : se mettre au travail dans un petit groupe plutôt que dans un enseignement magistral, avec un leader modeste6Miller J.-A., « Le cartel dans le monde ». qui puisse provoquer un travail singulier chez chaque membre du cartel.
La thèse du transfert de travail est au cœur de la transmission et de l’enseignement de la psychanalyse, enseignement qui, comme le dit Jacques-Alain Miller, passe par des « travailleurs qui vont contre l’ignorance, au sens du refoulement7Miller J.-A., « L’École, le transfert et le travail », La Cause du Désir, 99, 2018, p. 150.». Précisément, le désir de savoir vise à produire un savoir. Le travail pour la psychanalyse est toujours en lien avec le désir de savoir, et si le transfert de travail s’adresse à un non-savoir, « la question est de savoir ce que l’on fait avec le signifiant de l’Autre barré8Ibid., p. 151.».
Dans ce Cartello n° 37, Nicolás Landriscini revient sur la différence entre travail de transfert et transfert de travail, soulignant que ce dernier vise à produire le savoir dans un versant exposé. Pénélope Fay articule la mise au travail propre à un cartel avec le désir de savoir, comme une impulsion du désir qui ne cesse pas de produire. Pascale Rivals met en valeur que le travail en cartel est une invitation à inventer, à passer d’un savoir supposé au savoir exposé. Françoise Haccoun rappelle que l’hypothèse du transfert de travail est en lien avec le désir d’une transmission vivifiante, marquée par le goût du travail sans formule toute faite.
Soledad Peñafiel est membre de l’Envers de Paris.