« Une psychanalyse n’est pas une recherche scientifique impartiale, mais un acte thérapeutique.1Freud S., Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 2008, p. 167.», nous indique Freud dans Cinq psychanalyses. « Elle ne cherche pas à prouver mais à modifier quelque chose », poursuit-il. Cet énoncé pourrait-il s’appliquer au cartel ?
En effet, la visée du cartel n’est pas de démontrer ni de prouver un savoir. Il s’agit plutôt d’une immersion du sujet dans un travail de lecture, une invitation à inventer son propre chemin pour le mettre à l’épreuve dans un dire adressé à quelques autres. Alors, le dispositif du cartel nécessite d’en passer par l’expérience de la parole, et l’un de ses effets nous paraît relever de l’effet « créationniste2Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un tout seul » (2011), enseignement prononcé dans le cadre du département de l’université Paris 8, leçon du 11 mai 2011, inédit.» de celle-ci. La prise de parole peut produire une transformation, sinon du sujet, du moins du savoir en jeu dans la constitution de la question en cours pour celui qui s’y engage.
Il s’agit d’une « transformation du savoir exposé3Dupont L., « Puissance de la parole. Clinique de l’École », L’Hebdo-Blog n°189, janvier 2020. Voir ici.» en tant qu’elle passe par l’engagement du parlêtre. N’est-ce pas dans la rencontre entre le texte étudié et la tentative de dire du cartellisant, son énonciation dans le temps du cartel, que cela peut se produire ? Ce trajet, qui va du savoir supposé au savoir exposé puis au savoir transformé, s’appuie sur le transfert de travail. Le cartel prend donc son cœur de l’effet de la parole, de la prise de parole – en tant que parler, c’est toujours parler à quelqu’un. Dans ce parler à quelqu’un réside la dimension transférentielle inhérente à la parole : dans la cure, sous la forme du travail du transfert, et dans le cartel, sous celle du transfert de travail4Miller J.-A., « Cinq variations sur le thème de l’élaboration provoquée »..
C’est dans ce risque à exposer ses points de butée, le fil singulier de sa lecture et ce qui fait surprise pour chaque Un, que peut s’articuler non pas un savoir déjà là, mais un savoir qui surgit, autre à ce que le cartellisant a articulé seul face à ses questions et lectures. C’est en tentant de le dire, dans ce moment de l’exposer à d’autres, dans cette expérience même de parler, que peut se dessiner un nouveau fil. Comme nous le susurre René Char : « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux.5Char René., Chants de la Balandrane, Paris, Gallimard, 1977, p. 23.» Mais c’est aussi dans cet écart entre la jubilation éprouvée à la lecture d’un texte, d’un passage, d’une formule qui se découvre à nous, et le moment où nous tentons d’exposer nos découvertes dans le cartel, qu’une perte s’éprouve. Cet effet de la parole ne va pas sans des accents de vérité du côté du désir de celui qui s’y risque. Jacques Lacan l’indique, « le désir est toujours ce qui s’inscrit en tant que conséquence de l’articulation langagière au niveau de l’Autre6Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005, p. 52.».
Le cartel serait alors ce lieu où la parole prend sa valeur de parole, c’est-à-dire où elle inaugure la dimension de la vérité, où la routine du savoir commun quitte ses amarres pour produire, parfois, en un éclair, un savoir inédit et insu du sujet lui-même. En ce sens, si la prise de parole du cartellisant dans le travail en cartel trouve à se soutenir d’un transfert de travail, n’est-elle pas aussi, foncièrement, nouée à l’avancée dans l’analyse ?
Pascale Rivals est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.