Pour ce numéro 41 de Cartello, Chantal Bonneau, Frank Rollier et Valérie Bussières se sont attachés à penser l’articulation entre logique et vérité chez Lacan. Ce binaire convoque la question du savoir – d’un savoir sur la vérité. C’est par ailleurs une préoccupation contemporaine exponentielle et proportionnelle au développement des fake news. La conviction qu’il existe un savoir caché, une vérité confisquée par quelques-uns au détriment des autres, exacerbe la traque du mensonge.
Pour accéder à un savoir, l’option empirique suppose un réel déjà là, non-su sur lequel le symbolique peut mordre, un réel qui pré-existe au sujet. Ainsi, après le fantasme médical de tout voir grâce aux techniques d’imagerie médicale, la dérive du tout neuro suppose que tout de la subjectivité est déjà là, inscrit dans l’organique, et entretient l’idée que la science peut décoder les anomalies des passions humaines et y remédier. Bien que la science se soit substituée aux religions en matière de savoir, elle s’appuie sur les mêmes prémisses : un réel pré-existant. Quel autre accès au savoir ? Lacan nous offre des réponses au fil de son enseignement, vaste terrain de jeu pour ceux qui acceptent de s’y coller par le travail en cartel.
Savoir et vérité
Lacan affirme, dans son Séminaire La Logique du fantasme1Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La Logique du fantasme, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2023, p. 20., que « toute la réalité humaine n’est rien d’autre que le montage du symbolique et de l’imaginaire. Le désir, qui est au centre de cet appareil, de ce cadre que nous avons appelé réalité, est aussi bien ce qui couvre […] le réel ». La réalité n’est qu’un montage subjectif arrimé au désir. Elle ne peut se dire que par la langue de celui qui l’énonce. À chacun sa vérité subjectivée pour recouvrir le réel auquel il s’affronte. Si l’opération spéciale, conduite par Poutine, en est un exemple criant, il n’en demeure pas moins que toute vérité s’inscrit dans un discours dont elle tire sa cohérence. Chantal Bonneau nous propose une mise en tension éclairante autour du binaire vérité/tromperie, que nous pouvons entendre dans le néologisme lacanien varité. Elle nous rappelle combien, avant d’être cachée par l’autre, la vérité échappe au sujet lui-même.
Un accès au savoir par la logique
Mais la psychanalyse ouvre une autre voie, qui se passe de la garantie d’un ordre établi et permet d’emprunter la voie d’accès logique à un savoir. Dans cette perspective, Lacan nous fait entendre que le savoir produit lui-même un non-su. Pour entrevoir les conséquences qui s’en déclinent, je vous invite à lire Frank Rollier. Il balise pour nous ce chemin parcouru par Lacan, qui nous conduit de la vérité au réel, de l’impuissance à l’impossible, et construit une science du réel.
Une articulation logique et vérité ?
Faut-il pour autant en déduire que vérité et logique s’excluent l’une l’autre ? Certes pas. Dans l’ordonnancement des dits peut s’entendre un fil logique, en-deçà de leur contenu, car les signifiants eux-mêmes sont enclins à jouer selon des règles qui ont leur propre logique, comme dans une équation mathématique. Dès lors, au-delà du sens, tout est question de place et de permutation, comme le déplie Valérie Bussières. Le cartel, à l’instar de l’École, adopte ce mode de fonctionnement.
Et le savoir en cartel ?
Vous lirez aussi deux textes qui éclairent quelques spécificités du savoir à l’œuvre en cartel. Si la mise au travail des textes pourrait s’apparenter à l’approche empirique – mordre par la lecture sur le non su – le plus-un est souvent là pour y faire barrage. C’est ce que vous trouverez au cœur du témoignage de Sacha Wilkin. Anne Blanchet, quant à elle, met l’accent sur l’effet produit par l’exercice du savoir à plusieurs : à une question, il n’y a pas une seule réponse qui vaille.
Sylvie Berkane-Goumet est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.