Cartello, 41

Histoire d’une moitié de sujet

17/03/2023
Chantal Bonneau

La logique au cœur de l’enseignement de Lacan

Freud formait en son temps le projet de mettre le discours analytique en adéquation avec le discours scientifique. Plus tard, Lacan va s’appuyer sur la logique et les formules mathématiques pour affirmer que « c’est à cette logique que l’analyste doit se rompre »1Mahjoub L., « Que par la voie logique », Lacan Quotidien, no  924, 23 mars 2021. Disponible sur internet.. Mais comment définir l’objet de la logique ? Lacan en donne une définition: « l’objet de la logique comme ce qui se produit de la nécessité d’un discours »2Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, … ou pire, Paris, Seuil, 2011, p. 40.. La vérité dépend donc d’un discours3Cf. Miller J.-A., « La vérité fait couple avec le sens », La Cause du désir, no 92, mars 2016, p. 85.. Il la logifie en précisant qu’elle « n’est pas un mot à manier hors de la logique propositionnelle, où l’on en fait une valeur, réduite à l’inscription, au maniement d’un symbole, […] grand V, son initiale »4Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 62..

Dans une analyse, tout ne peut pas se dire, cet indicible est un reste qui témoigne que la vérité n’est pas une mais qu’elle est « pas-toute » et elle ne peut que « se mi-dire »5Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », inédit..

« Histoire d’une moitié de sujet »

Dans le Séminaire XVII, Lacan évoque sa première rencontre avec un livre : Histoire d’une moitié de poulet. Moment important qui le fait étendre cette anecdote à la psychanalyse: « Ce que j’enseigne […] pourrait bien s’intituler Histoire d’une moitié de sujet. » Loin de l’anecdote, il interroge la question du vrai et met l’accent sur l’image tronquée du poulet qui ne montre qu’un profil, le bon. Ce qui ne se voit pas, dit-il, c’est « la coupée, celle où était […] la vérité […]. C’est que la vérité est cachée, mais elle n’est peut-être qu’absente »6Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, op. cit., p. 63.. La vérité se trouve au-delà des apparences.

Ce n’est pas sans rapport avec ce que Jacques-Alain Miller nomme la révélation qui jaillit chez un sujet en analyse « dans un instant de voir »7Miller J.-A., « La vérité fait couple avec le sens », op. cit., p. 86.. La vérité cachée ne peut être atteinte qu’à l’instant où le voile se lève. 

À la vérité grecque, l’alèthéia, qui suppose le dévoilement, et l’invariable, la psychanalyse oppose une vérité discontinue et contingente. Lacan, à la fin de son enseignement, la nomme varité, soit un mixte de variété et de vérité.

Il soutient d’abord qu’en psychanalyse, il ne s’agit pas de réalité, mais de vérité. Ce qui est accessible, c’est une vérité singulière. À la fin de son enseignement, il la dit « vérité menteuse »8Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573., et dévoile sa fonction de fiction. Il la débarrasse alors de tout idéal, mettant fin aux certitudes. Elle reste opaque et insaisissable. La tromperie est, en effet, aux principes de l’analyse, puisque l’effet de transfert est « l’effet de tromperie en tant qu’il se répète […] ici et maintenant. »9Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 229., nous dit Lacan. La tromperie permet cependant à l’analysant d’avancer vers sa vérité, laquelle ne s’obtient qu’au prix « d’une parole qui attend d’être révélée, […] arrachée à la souffrance »10Leguil C., « Vérité, post-vérité, réel avec Lacan », Ornicar ?, no 53, novembre 2019, p. 46.. J.-A. Miller, dans sa présentation du Xe Congrès de l’AMP, précise qu’ « À la place du refoulement, l’analyse du parlêtre installe la vérité menteuse, qui découle de ce que Freud a reconnu comme le refoulement originaire. Et cela veut dire que la vérité est intrinsèquement de la même essence que le mensonge. […] Ce qui ne ment pas, c’est la jouissance, la ou les jouissances du corps parlant. »11Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, no 88, octobre 2014, p. 114.

Hamlet, un incroyant de la vérité

Pour Lacan, Hamlet est une tragédie fondée sur le rapport à la vérité. C’est la révélation faite à Hamlet par le ghost, fantôme du père, annonçant qu’il a été empoisonné dans son sommeil, qui déchire le monde de ses certitudes. Il découvre l’acte criminel et perd alors toute croyance en la vérité.

Deux faces de la vérité se dévoilent alors : une vérité versant signifiant qui traverse le corps d’Hamlet par l’oreille et une vérité versant réel qui touche le sujet dans son être et fait coupure.


Chantal Bonneau est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.

  • 1
  • 2
    Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, … ou pire, Paris, Seuil, 2011, p. 40.
  • 3
    Cf. Miller J.-A., « La vérité fait couple avec le sens », La Cause du désir, no 92, mars 2016, p. 85.
  • 4
    Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 62.
  • 5
    Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », inédit.
  • 6
    Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, op. cit., p. 63.
  • 7
    Miller J.-A., « La vérité fait couple avec le sens », op. cit., p. 86.
  • 8
    Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573.
  • 9
    Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 229.
  • 10
    Leguil C., « Vérité, post-vérité, réel avec Lacan », Ornicar ?, no 53, novembre 2019, p. 46.
  • 11
    Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, no 88, octobre 2014, p. 114.