Dans L’Envers de la psychanalyse, Lacan s’interroge : « Qu’est-ce qui est vrai » ? Il répond que « c’est ce qui s’est dit », soit « la phrase » qui « se supporte du signifiant ». Il établit ainsi un lien logique entre vérité et signifiant, soutenant que « la vérité est inséparable des effets de langage », pour autant que l’on y « inclut l’inconscient » et donc qu’il « n’y a pas de vrai sans faux »1Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 70.. Ce franchissement fait rupture avec son premier enseignement dont la vérité était le signifiant-maître, Lacan soutenant alors qu’elle « peut être retrouvée »2Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 259..
Dans L’Envers de la psychanalyse, Lacan montre que si, pour Freud, « la relation analytique doit être fondée sur l’amour de la vérité »3Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, op. cit., p. 200., celle-ci a en fait plusieurs visages et reste insaisissable, ajoutant que « sucer [son] lait […] c’est toxique. Ça endort »4Ibid., p.212..
Lacan s’oppose ainsi aux philosophes logiciens qui voulaient « sauver la vérité »5Ibid., p. 71. en la faisant coïncider avec le fait, ce qui a conduit Russel à énoncer que la preuve est la « voie royale d’accès à la vérité »6Doxiadis A., Papadimitriou C., Papadatos A., Di Donna A. : « LOGICOMIX », Vuibert, Paris, 2010. et Wittgenstein à soutenir que « la logique consiste dans l’impossibilité de rien penser d’illogique »7Wittgenstein L., Tractatus logico-philosophicus, Paris, Gallimard, 1993, p.83.. À cette rigueur impitoyable qui relève de la « férocité psychotique »8Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, op. cit.,p. 69., Lacan oppose « le factice du langage », car « le vrai ne dépend […] que de mon énonciation »9Ibid., p. 68..
Avec l’écriture des quatre discours, la vérité se place « en bas et à gauche » du quadripode, sous la barre, nécessairement « comme quelque chose de caché »10Ibid., p. 216., dans une relation logique avec les autres termes que sont le désir, l’Autre et la perte de jouissance11Ibid., p. 106 et 196.. Faire ainsi « passer la vérité à l’écriture » annonce son « déclin », avance Jacques-Alain Miller, car elle « n’est plus qu’une lettre », grand V, « enchainée aux axiomes et aux règles de déduction, elle est esclave de savoir élaboré en vue de coincer un réel »12Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, no 44, p. 39..
Constatant qu’ »il y a des vérités qu’on ne peut pas démontrer », Lacan établit un lien logique d’impossibilité entre vérité et réel car, dit-il, « c’est au niveau de l’impossible que je définis ce qui est réel »13Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, op. cit., p. 190.. Et Lacan de qualifier la vérité de « chère petite sœur de l’impuissance »14Ibid., p. 202. dont la quête ne conduit qu’à soutenir « le pouvoir des impossibles […] gouverner, éduquer, analyser à l’occasion »15Ibid., p. 217.. Il précisera que « le dire vrai […] supplée à l’absence, à l’impossibilité d’écrire comme tel le rapport sexuel »16Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non -dupes errent », leçon du 12 février 1974, inédit..
De la vérité au réel, de l’impuissance à l’impossible, la logique, définie par Lacan comme science du réel et même « science de l’impossible »17Miller J.-A., « En-deçà de l’inconscient », La Cause du désir, no 91, p. 120., ouvre ainsi la voie à « la possibilité d’une passe d’ordre logique »18Miller J.-A., Comment finissent les analyses. Paradoxes de la passe, Paris, Navarin, 2022, p. 11..
Frank Rollier est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.