La vérité relève de la logique. Avec Aristote, on peut attribuer à une proposition une valeur de vérité1Aristote, Œuvres complètes, Paris, Flammarion, 2014, p. 34 et p.79. Disponible en ligne.. Avec des tables de vérité composées de connecteurs logiques (conjonction, disjonction, négation) s’effectuent des vérifications de propositions et une analyse combinatoire.
En mathématique, la combinatoire repose sur l’opération de la permutation. Définie comme le « Fait, pour un élément, de prendre la place d’un autre qui vient occuper la sienne en retour »2Centre National de Ressources Textuelles et Lexicale. Disponible en ligne., la permutation est isomorphe au cartel, comme l’indique Lacan dans la leçon « D’écolage » de son Séminaire Dissolution en 1980 : « Pour prévenir l’effet de colle, permutation doit se faire, au terme fixé d’un an, deux maximum »3Lacan J. « D’écolage », Aux Confins du Séminaire, Paris, Navarin, 2021, p. 56..
Comment Lacan a-t-il, dans son enseignement, introduit l’opération de permutation ? Alors qu’il cherche à « illustrer la vérité qui se dégage de la pensée freudienne »4Lacan J. « Le séminaire sur la lettre volée », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 12., il choisit l’étude de « La lettre volée ». Avec cette nouvelle, Edgard Poe, « ce bon précurseur qu’il est dans les recherches de stratégie combinatoire »5Ibid., p. 61., inspire Lacan qui « construit une structure avec permutations des plus et des moins »6Miller J.-A., « La logique de la cure du Petit Hans selon Lacan », La Cause freudienne, no 69, 2008, p. 98.. Il se réfère aussi à l’analyse structurale dépliée par Levis-Strauss dans Les Structures élémentaires de la parenté avec une traduction mathématique apportée par André Weil dont une des conditions est la « permutabilité des substitutions »7Weil A., « Sur l’étude algébrique de certains types de lois de mariage », in Lévi-Strauss C., Les Structures élémentaires de la parenté, Paris, EHESS, 2017, p. 259.. Dans un autre écrit, « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », Lacan démontre comment « le petit Hans […] développe, […] sous une forme mythique, toutes les permutations possibles d’un nombre limité de signifiants »8Lacan J., « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », Écrits, op.cit., p. 519..
Ainsi, fort de cette opération, « Lacan lit Freud avec Lévi-Strauss » comme le souligne Jacques-Alain Miller9Miller J.-A., op. cit., p. 107.. Mais ce n’est pas tout, Lacan s’inspirant de la linguistique de F. de Saussure et de Jakobson, extrait un point : « Le jeu fondamental du signifiant c’est la permutation »10Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 282. et il en jouera notamment aussi en permutant les phonèmes de « littérature » pour faire advenir « Lituraterre ».
L’opération de permutation est par ailleurs congruente à la logique de l’École et du cartel. Actant la fondation de l’École freudienne de Paris, dont la visée est la restauration de la vérité du champ freudien, Lacan impulse une élaboration soutenue sous la modalité d’un travail en petit groupe et précise d’emblée en 1964 que « les éléments d’un groupe se verront proposer de permuter dans un autre »11Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.. Impliquant la notion de place et de mouvement, « la permutation veut dire que le manque est fonctionnel »12Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le lieu et le lien », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 6 juin 2000, inédit.. Dès lors, si le signifiant permute, les cartellisants aussi.
Valérie Bussières est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.