Cartello, 42

Le tourbillon du cartel

19/04/2023
Solenne Albert

Ce numéro 42 de Cartello s’attelle à mettre en lumière ce qui distingue le cartel du groupe. Quel est le lien social si particulier qui fait du cartel l’organe de base qu’a voulu Lacan pour que, « dans le champ que Freud a ouvert », un travail s’accomplisse qui permette de restaurer « le soc tranchant de la vérité »1Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229. ?

Dans son texte, Dominique Corpelet interroge la spécificité du cartel : comment celui-ci parvient-il à « parer aux effets de groupe » ? Il rappelle ce que J.-A. Miller indiquait, que dans un groupe, tout doit être sous contrôle pour que soient préservées la place de chacun et la jouissance qui y est attachée. Ainsi, dans un groupe, les places sont fixes, et rien ne bouge. C’est à l’opposé du cartel, où le principe de permutation déloge du confort et renouvelle le rapport de chacun à sa solitude. C’est ce tourbillon du cartel, propice à « d’écoler », qui permet la production d’un savoir nouveau.

Valérie Bussières, à partir de sa lecture du texte de Lacan « La psychiatrie anglaise et la guerre », explore la manière dont Lacan « sème les graines de ce qui deviendra l’organe de l’École : le cartel ». Ce texte propose non pas une analyse des effets du groupe, mais « une mise à ciel ouvert périodique des résultats comme des crises du travail »2Lacan J. « D’écolage », Aux Confins du Séminaire, Paris, Navarin, 2021, p. 56. Lacan organise la Journée des cartels à la Maison de la chimie pour, disait-il, en apprendre un peu plus sur le fonctionnement de cet « organe de base » de son École. Cf. Lettres de l’École freudienne de Paris, n° 18, 1976., ce qui constitue un des socles du cartel. « Ainsi, chaque cartellisant, avec sa singularité, s’adresse à l’École via un désir et un transfert de travail. »

Marie-Claude Pezron souligne quant à elle que « le cartel ne correspond pas aux groupes communs, agglomérats d’individus rassemblés en des occasions diverses, aux prises avec des identifications imaginaires multiples et délétères », et ce pour une raison précise : à la différence des thérapies groupales de Bion, auquel Lacan fait référence3Lacan J., « La psychiatrie anglaise et la guerre », Autres écrits, Seuil, 2001, p. 101., le cartel constitue un groupe sans chefferie. Le plus-un « vise à maintenir vif le désir élaboratif » et n’assure sa fonction que comme « un leader modeste », « un leader qui s’amoindrit en supportant la division ». Ainsi, « il préserve la place du manque et provoque la construction de savoir chez les cartellisants ». Il se révèle alors « moins-un. »4Miller J.-A., « Cinq variations sur l’élaboration provoquée », La Lettre mensuelle n°61, ECF éditeur, Paris, 1987, p. 5-11.

Jonatan Drumond Jardini, enfin, s’intéresse de manière originale à la place du cartel dans le cursus étudiant. Quelle est la particularité du savoir qui s’élabore en cartel ? Comment se distingue-t-il du savoir qui est attendu de l’étudiant par ses professeurs ? Le cartel permet de sortir du schéma pédagogique maître-astudé, puisque le plus Un n’occupe pas « la fonction pédagogique du maître ». C’est par la voie d’un transfert de travail qu’un savoir nouveau émerge, un savoir cause du désir, qui produit une trouvaille.

C’est du manque qu’émerge un travail, et une trouvaille, propres à chacun. Et c’est cette trouvaille qui fait le sel du travail en cartel, outil précieux et unique pour l’étude de la psychanalyse.

Nous vous souhaitons une bonne lecture de ces quatre beaux textes !


Solenne Albert est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.

  • 1
    Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.
  • 2
    Lacan J. « D’écolage », Aux Confins du Séminaire, Paris, Navarin, 2021, p. 56. Lacan organise la Journée des cartels à la Maison de la chimie pour, disait-il, en apprendre un peu plus sur le fonctionnement de cet « organe de base » de son École. Cf. Lettres de l’École freudienne de Paris, n° 18, 1976.
  • 3
    Lacan J., « La psychiatrie anglaise et la guerre », Autres écrits, Seuil, 2001, p. 101.
  • 4
    Miller J.-A., « Cinq variations sur l’élaboration provoquée », La Lettre mensuelle n°61, ECF éditeur, Paris, 1987, p. 5-11.