Jonatan Drumond Jardini est étudiant au département de psychanalyse de l’université Paris 8. Ce département fut créé à l’initiative du Docteur Lacan. Depuis quelques années, les étudiants du département de psychanalyse sont invités à travailler en cartel. L’auteur, ici, témoigne de l’intérêt et des effets de ce dispositif de travail, dans le cadre d’études universitaires.
Dans son texte « L’école, le transfert et le travail »1Miller, J-A., « L’école, le transfert et le travail », La Cause du désir, n° 99, 2018/2, p. 137-152., J.-A. Miller avance avec Lacan que « la psychanalyse enseigne […] comment l’enseigner »2Ibid., p. 140.. Que la transmission de la psychanalyse, à la différence de l’enseignement au sens classique, présente une logique qui lui est propre.
Parce que la psychanalyse se situe du côté de la logique de l’incomplétude plutôt que de la mathématique de l’axiome, son approche du langage, traversée par le désir, s’écarte de la logique des universels, au profit du singulier. Dans la même veine, et à la différence de la pédagogie classique, la transmission du savoir analytique impliquerait aussi, dans l’université, une place singulière pour l’étudiant.
Dans le séminaire XVII, Lacan définit l’étudiant comme « astudé »3Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 121., à savoir celui qui doit « produire quelque chose »4Ibid., p. 121. à partir d’une position de sujet de la science. En même temps, Lacan fait à plusieurs reprises remarquer que la tâche analytique est de « sortir du discours universitaire »5Ibid., p. 71-72 et 124.. Cela implique de ce fait un changement de statut de cet impératif de production. Si l’on veut, avec Lacan, sortir du discours universitaire, étant donné que la transmission relève du singulier, la production propre à l’étudiant de psychanalyse doit dès lors être appréhendée différemment de la position du sujet de la science. Autrement dit, sa spécificité, à la lumière de ce qui échappe à la fonction pédagogique du maître, prend corps à partir d’un croisement entre savoir et désir qui opère à partir de l’objet cause du désir, l’objet a6Ibid., p. 124..
En ce sens, l’on pourrait dire que c’est par la voie de la découverte analytique d’un « désir de savoir »7Ibid., p. 122., intime au parcours analytique de chacun, que la psychanalyse, à travers l’implication subjective, fait valoir une transmission qui opère à partir ce qui fait cause au désir. Plutôt que de l’appréhender depuis la fonction universelle du « pour tous »8Ibid., p. 146. du sujet de la science, il s’agirait d’appréhender la transmission analytique comme un « savoir de l’inconscient »9Ibid., p. 147., dont les apports de la production subjective portent, pour chacun, un trait singulier. Un savoir qui, d’ailleurs, transforme la passivité du sujet de la science et qui responsabilise chacun, l’invitant à y mettre du sien dans sa formation.
Au cours de la formation analytique, le travail de cartel dans le cadre de l’université, ainsi que les cours et les enseignements de l’École de la Cause freudienne, constituent un lien inédit entre le savoir et « l’un »10C’est le cas, par exemple, de mon actuel travail de cartel sur le rapport entre l’objet petit a et le fantasme. de la singularité. Cela permet, par la voie du « transfert de travail »11Lacan, J., « L’acte de fondation du 21 juin 1964 », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 236., la transmission de la psychanalyse « d’un sujet à l’autre »12Miller, J-A., « L’école, le transfert et le travail », op. cit., p. 137.. Le travail à plusieurs, entre étudiants cartellisants, enseignants et plus-un, qui opèrent non pas à partir du savoir, mais à partir de ce qui du savoir fait cause au désir, est essentiel pour sortir du schéma pédagogique maître-astudé.
Cela permet d’accueillir une production singulière, ainsi qu’un échange à plusieurs autour du savoir. À partir, pourtant, d’une transmission sui generis, l’énonciation, l’élaboration et l’éthique du choix consistent en une éthique qui inscrit l’université dans un parcours de formation. Transformer le discours universitaire au sein de l’université, l’intégrer à partir de ce lieu de croisement entre production partagée, élaboration singulière et éthique du désir, constitue une solution élégante, voire une invention nécessaire. La psychanalyse et son enseignement à l’université garderaient ainsi la marque analytique d’un réel qui transforme la pédagogie.