« Désir et norme », drôle de titre pour ce Cartello 40, puisque par définition le désir n’est pas normé : il est toujours hors du commun. Dans son séminaire Le Désir et son interprétation, Lacan avance que, dans l’Autre, lieu de Toute signification, il y a une faille. « Ce quelque chose qui y fait défaut ne peut être qu’un signifiant, d’où le S »1Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, Paris, La Martinière, 2013, p. 353.. La psychanalyse est décrite comme hors norme, comme ce qui fait défaut à tout discours universel. Sa praxis « se tient en dehors, ‘ex-siste’ écrit Lacan, aux autres formes de pratiques et de savoirs. »2Pfauwadel A., Lacan versus Foucault. La Psychanalyse à l’envers des normes, Paris, Les Éditions du Cerf, 2022, p. 22.
Mais justement, avancer l’idée que la psychanalyse n’est pas normée implique que la pratique de l’analyste soit toujours singulière. Lacan avait déjà mis en avant les enjeux de la psychanalyse et de sa transmission : pas de norme non plus à l’heure de vouloir transmettre quelque chose du discours analytique. Le manque est le noyau et l’orientation de la psychanalyse, puisque l’analyste prête intérêt à ce qui ne va pas, à ce qui fait défaut, à ce qui manque, à ce qui est troué. Comme le dit Lacan, « le désir du sujet, en tant que désir du désir, ouvre sur la coupure, sur l’être pur, manifesté en Ⱥ sous la forme de manque »3Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, op. cit., p. 571..
Le silence de l’analyste vise à éviter « toute sentence normative »4Pfauwadel A., Lacan versus Foucault. La Psychanalyse à l’envers des normes, op. cit., p. 195.. Par ce silence, notamment, la psychanalyse ne se pose pas comme discours de domination. Le silence vise à faire émerger la singularité du désir et de la jouissance de l’être. Ce n’est pas un hasard si Lacan termine le séminaire sur le désir par l’énigme de la femme, puisque La femme fait trou au niveau du langage. Elle vient décompléter la chaîne signifiante. Il s’agit de cette « béance qui ouvre sur ce quelque chose de radicalement nouveau qu’introduit toute coupure de la parole »5Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, op. cit., p. 573.. Mettre au centre la question du féminin n’oriente pas seulement la position de l’analyste, mais aussi la manière dont il est possible d’appréhender l’enseignement de Lacan, à partir d’une question singulière, qui a chance de se traiter dans un cartel.
La commission des cartels* a voulu consacrer ce numéro 40 de Cartello aux produits de quatre cartellisants qui se sont réunis** pour mettre au travail la question de l’énigme et de la norme, en les confrontant. Delphine Gicquel met en tension désir et droit, tout en soulignant l’importance de laisser la place au vide pour qu’émerge le désir. Vanessa Sudreau pose la différence entre énoncé et énonciation, tout en disant que du côté de l’énonciation il y a un paradoxe, comme en ce qui concerne le désir d’ailleurs. Frédérique Bouvet nous enseigne sur la différence entre désir et jouissance à l’ère du déclin du père. Raphaëlle Beraud, partant de la singularité d’un récit littéraire, met en valeur la manière dont un sujet psychotique peut faire exister le non-rapport sexuel. Enfin, Camille Gérard nous enseigne sur sa première expérience de cartel, mettant en valeur que le produit d’un cartel s’invente à partir d’un insu. Elle indique que ce n’est pas pour attraper un S2 chez le plus-un que l’on fait un cartel.
Soledad Peñafiel est psychologue, membre de l’Envers de Paris.
- * La commission des cartels de l’ECF entame sa seconde année de mandat. Elle est composée de Chantal Bonneau, Sylvie Goumet Berkane, Rosana Montani, Soledad Peñafiel, Vanessa Sudreau et Dominique Corpelet, responsable de la commission.
** Intervention prononcée lors de la soirée « L’énigme contre la norme », le 1er juin 2022, organisée dans le cadre du thème d’étude du bureau de Rennes de l’ACF en VLB, « La voie du désir ».