Cartello, 40

Du savoir universitaire à l’insu

03/02/2023
Camille Gérard

Camille Gérard témoigne ici d’un cartel, constitué avec trois autres étudiantes rencontrées lors de ses études de psychologie. Ce cartel fut pour elle un mode inédit de mise au travail. Elle a exposé son produit de cartel lors de la rentrée des cartels à Rennes, le 1er octobre 2022. Elle en témoigne ici.

J’ai commencé un premier cartel durant mes études universitaires de psychologie. Avec mes collègues cartellisantes, nous avions initialement attendu du plus-un qu’il nous livre, tel le savoir universitaire, un trésor de S2. Mais rapidement, la multitude de questions, imprécises et laissées sans réponses claires, suscita chez nous un certain embarras.

Ma question de départ portait sur les conditions de passage de l’état mélancolique à la manie et vice versa. D’autres questions ont ensuite éclos à partir des points de butée rencontrés tout autant que des trouvailles faites de façon inattendue. Dans le Séminaire Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, Lacan lie la trouvaille à l’inconscient. Il écrit : « Ce qui se produit dans cette béance, au sens plein du terme se produire, se présente comme la trouvaille. C’est ainsi d’abord que l’exploration freudienne rencontre ce qui se passe dans l’inconscient. » Il poursuit : « Cette trouvaille, dès qu’elle se présente, est retrouvaille, et qui plus est, elle est toujours prête à se dérober à nouveau, instaurant la dimension de la perte »1Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.‑A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 33..

Dans le cartel, l’expérience de l’insu s’est nouée au produit même de cartel qui mettait l’accent sur l’alternance pulsatile de l’inconscient – à ciel ouvert – dans la psychose maniaco-dépressive. Dans Variétés de l’humeur, Hervé Castanet, commentant la présentation par Serge Cottet du cas Olga Blum de L. Binswanger, déclare : « Quelle est la conclusion de Serge Cottet ? Elle touche, me semble-t-il, à la structure temporelle de l’inconscient, l’inconscient est pulsation temporelle »2Castanet H., « Manies et mélancolies chez Binswanger », in Variétés de l’humeur, Miller J.-A.  (s/dir.), Paris, Navarin, 2008, p. 153.. Plus loin dans le même ouvrage, Philippe La Sagna note cette fois au sujet de la position mélancolique qu’il peut y « avoir un recours à la surprise de l’inconscient »3La Sagna P., « Position ou état ? », in Variétés de l’humeur, op. cit., p. 92., par la tuché qui lui est propre, dans un mouvement d’ouverture et de fermeture de l’inconscient.

La dynamique vivante du cartel est impulsée par des moments de fulgurances, de trouvailles, de points de butée, de silences, de surprises etc., dont la discontinuité confronte à un savoir toujours écorné. Un non-savoir persiste. Dans « Logiques du non-savoir en psychanalyse »4Miller J.-A., « Logiques du non-savoir en psychanalyse », La Cause freudienne, n75., Jacques-Alain Miller décline plusieurs modalités du non-savoir. Il met ainsi en opposition l’incompétence et la naïveté. L’incompétence relève d’un non-savoir qui devrait être su, une compétence qui devrait être acquise. La naïveté en revanche est « pourvue d’une certaine positivité »5Ibid., p. 174.. Miller fait de la naïveté une méthode opératoire qui consiste à se laisser surprendre, à accueillir les phénomènes tels qu’ils viennent. Je le cite : « le zéro de la naïveté, c’est un zéro qui signale ce qui est encore à venir, un zéro d’ouverture »6Ibid., p. 173.. J.-A. Miller rajoute plus loin dans le texte : « Je laisse en suspens l’idée que la psychanalyse serait d’avoir une compétence quant à l’inconscient, car il y a quelque chose qui nous choque dans cette idée. On voit bien là pourquoi il vaut mieux une naïveté quant à l’inconscient : c’est aussi pour ne pas avoir une mauvaise surprise »7Ibid., p. 181..

Un savoir nouveau a chance d’être produit dans le dispositif du cartel à partir de l’insu, propre à chacun. Ce savoir est noué à la contingence. C’est un savoir « neuf » qui s’oppose à un savoir « déjà-là »8Miller J.-A., « Le cartel dans le monde », La Lettre mensuelle de l’ECF, n134, 1994, p. 35-37..


Camille Gérard est psychologue, membre de l’ACF en Aquitaine.

  • 1
    Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.‑A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 33.
  • 2
    Castanet H., « Manies et mélancolies chez Binswanger », in Variétés de l’humeur, Miller J.-A.  (s/dir.), Paris, Navarin, 2008, p. 153.
  • 3
    La Sagna P., « Position ou état ? », in Variétés de l’humeur, op. cit., p. 92.
  • 4
    Miller J.-A., « Logiques du non-savoir en psychanalyse », La Cause freudienne, n75.
  • 5
    Ibid., p. 174.
  • 6
    Ibid., p. 173.
  • 7
    Ibid., p. 181.
  • 8
    Miller J.-A., « Le cartel dans le monde », La Lettre mensuelle de l’ECF, n134, 1994, p. 35-37.