Pragmatique de la psychanalyse en immersion : la psychanalyse est immergée dans son époque, comme le psychanalyste l’est dans sa pratique. Jacques-Alain Miller repense ainsi la clinique analytique au temps de la globalisation où, insaisissable, la parole file sans jamais attraper le sens qui fuit. Comment opérer avec la parole liquide sur un événement de corps imperméable au déchiffrage ?
Des indications cliniques fondamentales pour la psychanalyse aujourd’hui.
La parole est de l’ordre de la sécrétion, [elle] est un fluide linguistique.
J.-A. Miller
[…]
La parole est liquide. […] Cet aspect liquide est sans doute – c’est une hypothèse – ce qui a conduit Lacan, après vingt ans d’enseignement, à apporter la notion de lalangue dans sa différence d’avec le langage. Le mot langage appelle celui de structure. […]
Le concept de lalangue est destiné à ruiner la psychanalyse solide. Ce concept annonce que la parole est de l’ordre de la sécrétion, qu’elle est un fluide linguistique. [Au] seuil de son dernier enseignement, Lacan a posé, non seulement qu’il y a lalangue, mais aussi qu’il y a un écart nécessaire entre lalangue et le langage. […] Cela m’apparaît vraiment être l’écart majeur à partir de quoi pivotent, non seulement la théorie, mais aussi la pratique de la psychanalyse.
À quel niveau se situe l’inconscient ? Est-ce au niveau du langage comme structuré, ou est-ce au niveau de lalangue qui déjà amorce, ou plutôt implique sa déstructuration, sa fluidification ?
J.-A. Miller
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Premièrement, l’inconscient au niveau du langage. L’inconscient est au niveau du langage en tant que structure. L’inconscient se structure comme un langage et, en particulier, il se structure dans l’opposition du signifiant et du signifié. [Quand un] analyste livre son travail à un collègue dans le cadre du contrôle, il livre une hypothèse qui se prête à discussion, à correction, c’est-à-dire que l’inconscient est une construction du côté de la pratique de l’analyste. […]
Deuxièmement, l’inconscient au niveau de lalangue. [Je] dirai que c’est du côté de l’analysant, au sens où – je cite Lacan – l’inconscient est un savoir-faire avec lalangue. Cela qualifie, si je puis dire, la pratique de l’analysant précisément en tant que ça échappe à ce qu’il énonce ; […] ça qualifie des affects […] qui restent énigmatiques et qui sont à rapporter à la présence de lalangue.
Il y a un écart entre ce que le sujet est capable d’énoncer et ses affects refermés sur leur énigme.
J.-A. Miller
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Quand on élargit l’inconscient aux affects énigmatiques, il inclut les événements de corps dont rien ne démontre qu’ils ont la même structure que ce qu’on appelle les formations de l’inconscient. […] Comment opère le déchiffrage des formations de l’inconscient, sinon toujours en montrant qu’elles ont sens de désir ?
Eh bien, quand nous avons affaire aux événements de corps, il s’agit d’entités qui ont sens de jouissance. Le sens de jouissance est bien distinct du sens de désir. Quand il s’agit de sens de désir, il y a communication – où l’on peut saisir comment le signifiant qui manque à la parole de l’analysant peut être apporté par l’analyste sous les espèces de l’interprétation. S’il y a communication quand il y a sens de désir, il y a satisfaction quand il y a sens de jouissance. Non pas communication, mais satisfaction. Cette distinction recouvre celle du langage et de lalangue.
[L]’interprétation se juge à l’événement de jouissance qu’elle est capable à terme d’engendrer.
J.-A. Miller
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Cela ouvre aussi bien la question de savoir ce qui, de la jouissance, peut être déplacé dans une psychanalyse. Quels sont les événements de jouissance qui occupent ce que j’appelais le cours de l’analyse, où la parole liquide s’avère capable de déplacer la jouissance ? […] Il se pourrait que ce soit, non pas le déchiffrage, mais la coupure qui soit événementielle, que ce soit la coupure qui puisse se tenir au niveau de l’événement de jouissance.