Cartello, 38

Désir de savoir ?

Edito

14/10/2022
Vanessa Sudreau

Le désir de savoir est une notion qui pourrait sembler se saisir aisément, pourtant ce numéro de Cartello est là pour en démontrer les paradoxes et les capillarités. Ce n’est pas que la question du savoir soit plus complexe dans le champ analytique, je dirais plutôt qu’elle y est rendue à sa complexité avec une acuité singulière.

Avec l’héritage des Lumières si particulier à la culture française, nous avons pris un certain pli : le savoir, la connaissance et la vérité, comme d’une seule pièce, marchant main dans la main vers la liberté, pour ouvrir la Voie à l’homme de bien. Il est notable que ce pli est aujourd’hui moins lisible à l’heure du déchainement de la post-vérité, dans une douloureuse ambiance de crise de confiance. Pour autant, cette marque historique a sans doute sa part, tant dans la puissance que constitue cet idéal autour du savoir, que dans la virulence qui aujourd’hui s’y oppose.

Si la voie du désir de savoir est d’une tout autre nature que la poursuite d’un idéal, elle ne s’y  oppose pas, car après tout, l’amour du savoir est bien la voie royale qui conduit un sujet à désirer explorer son savoir insu. C’est à partir de la mise en fonction de l’amour adressé au savoir dans le transfert que la voie du désir percute l’amour de la vérité. Cependant la voie du désir n’est pas sans jouissance, elle conduit celui qui l’emprunte vers une humilité qui n’est pas sans prix, vers un certain dessaisissement de lui-même, et elle requiert une profonde ténacité.

Nouée au savoir tel qu’il s’appréhende dans l’expérience d’une analyse, la voie du désir s’éloigne peu à peu de l’aura d’Éros qui la nimbait et qui soutient les joies de la découverte de la vérité : mirages premiers d’une complétude de son manque-à-être par l’élucidation, pas sans passion, ni enthousiasme… Ce sont là des trésors qu’il nous faut porter haut et chérir encore, car il faut du courage pour s’avancer contre sa propre défense, contre sa propre réticence à savoir, et si la joie de la fin n’est pas celle du début, elles ne sont pas sans rapport : nul n’approche son style propre sans cette aliénation première et si longuement nécessaire à l’amour de la vérité.

Alors il n’est pas fâcheux de conserver la fraicheur d’une gourmandise de la connaissance pour s’avancer pas à pas dans la direction du désir de savoir, pour en supporter les coupures que le réel fait surgir du symbolique, pour en affronter les interruptions qui se faufilent dans la vérité subjective, et les paradoxes qui y surgissent, via le rêve, le lapsus, l’acte manqué. Le cartel n’est pas de trop pour accompagner cette grande traversée, il permet des prises de vues inédites en faisant travailler une question dans le texte, il mobilise le corps de celui qui s’y met.

Ces capillarités du savoir analytique, vous allez en approcher certaines dit-mensions dans ce très beau numéro de Cartello, d’abord avec le texte de Philippe De Georges, « Une affaire de goût », qui met en exergue « la volonté d’emprise » d’Éros sans laquelle «  il n’y aurait pas de prise » du désir de savoir. Avec le texte de Maria Novaes, « Apprendre la psychanalyse c’est l’enseigner », nous explorerons les transmutations subjectives opérées par la transmission en psychanalyse. Eduardo Scarone explore ici sous le titre « Critique lacanienne du désir de savoir » le savoir comme avatar de la libido freudienne, jusqu’à resituer le corps comme ultime butée du savoir. Enfin, Sylvie Berkane Goumet, dans son texte intitulé « Insatiable désir de savoir », nous propose une distinction précieuse entre deux cadres du savoir analytique : l’insu relatif à l’inconscient d’un sujet et le non-savoir comme lieu vide d’où peut se produire du nouveau.

Bonne lecture !

Vanessa Sudreau est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.