Le travail en cartel recèle un nouveau rapport au savoir : car ce qui est en jeu n’est pas tant l’amour du savoir, que le désir de savoir. De quoi s’agit-il ?
Comme nous l’avons lu récemment sous différents angles dans Cartello1Cf. Cartello 36 et 37., il s’agit, dans le travail en/de cartel, de la production d’un savoir, rendue possible par le transfert de travail, thèse qui est au cœur même de la spécificité de la transmission de la psychanalyse et ce, non sans lien avec l’École. Cela implique aussi un autre passage : du savoir supposé, attribué à l’Autre, au savoir exposé. C’est là que se situe le point crucial.
Il importe, pour commencer, de revenir à la précision évoquée par J.-A. Miller concernant la spécificité de la transmission de la psychanalyse, à savoir que la psychanalyse n’est pas enseignable à tous. Elle ressemble, dit-il, à une initiation, dans la mesure où elle se transmet d’un sujet à un autre et passe selon lui par une transmutation subjective, en lien avec l’expérience même de l’inconscient. Il ne s’agit pas d’un contenu ni de résultats à transmettre, mais d’un style, dit-il2Miller J.-A., « L’École, le transfert et le travail », La Cause du Désir, 99, Paris, Navarin, p. 144-148.. L’amour du savoir impliquerait le savoir supposé à l’Autre, ce qui est moins propice à une mise au travail. Au lieu d’un savoir clos et dogmatique, caractéristique par exemple de l’enseignement d’un contenu disciplinaire, nous serions, avec la psychanalyse, plutôt du côté de la production d’un savoir, du fait même qu’on s’y mette3Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », op.cit., leçon du 31 janvier 1990, inédit.. Là réside l’effet de la dé-supposition de savoir permettant la mise à ciel ouvert du savoir : de supposé à exposé. Pas d’amour du savoir, mais plutôt un désir de savoir, franchissement qui peut se vérifier dans le travail en cartel, en affinité avec la transmission de la psychanalyse et de ses points cruciaux, en jeu à la fin de la cure. La question même de la transmission de la psychanalyse y réside : « comment peut-elle transmettre le désir de savoir ?4Miller J.-A., « L’École, le transfert et le travail », op. cit., p. 150.»
Je m’orienterai d’un renversement pour saisir ce point vif concernant la transmission de la psychanalyse. Abordé par J.-A. Miller dans son cours « Le banquet des analystes5Miller, J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », cours dispensé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 7 février 1990, inédit.», j’en fais le titre de ce texte. On devient analyste, dit Miller, « pour apprendre à parler, à bien dire » ; il ajoute que l’analyste n’est pas voué à rester confiné dans son cabinet, mais qu’au contraire il peut s’exposer. Ce passage du savoir supposé au savoir exposé, passage que produit une analyse, recèle une connexion étroite, dit Miller, entre le devenir analyste et l’enseignement de la psychanalyse6Ibid.. Ce dont il est question dans ce passage aurait une certaine affinité avec ce qui se passe en cartel.
« Apprendre la psychanalyse c’est l’enseigner », car le travail en cartel permet de se mettre en place de travailleur décidé. Ce travail, traversé par une énonciation singulière, mène à la production d’un bout de savoir inédit. L’on se confronte aux limites d’un savoir, marqué par l’incomplétude et la faille. Cette faille, corrélée à l’inconscient, on l’éprouve dans le travail de cartel, et l’on tente d’en dire quelque chose avec son énonciation propre.
Apprendre, ici, n’est donc pas du même ressort que l’apprentissage d’un savoir délivré dans un cours magistral : il s’agit de le dire, en présence de quelques autres, le corps et la voix étant de la partie. Ce passage dénote ainsi plutôt un désir de savoir, une mise au travail qui induit7Ibid., leçon du 31 janvier 1990, inédit. la production d’un savoir, ce qui diffère foncièrement de l’amour du savoir, entendu ici dans le sens de l’ignorance et du refoulement8Miller J.-A., « L’École, le transfert et le travail », op. cit., p. 150..
Dire, car « ce qui s’énonce bien on le conçoit clairement9Lacan J., Télévision, Paris, Seuil, 1975, p. 71.».
Maria Novaes est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.