J.-A. Miller, Textes de J.-A. Miller

Psychothérapie et psychanalyse

Extraits

Celui qui veut le bien-être du sujet souffrant se positionne en tant que maître. En effet, la suggestion est une « thérapie par identification » qui renforce la soumission du sujet à l’Autre. L’analyste, lui, se refuse à « utiliser les pouvoirs de l’identification ». Là se loge la différence fondamentale entre psychothérapie et psychanalyse, déployée ici avec clarté et précision par Jacques-Alain Miller. Le désir énigmatique par lequel s’oriente le psychanalyste ouvre à un champ inédit, qui donne chance au sujet de « rencontrer la question de son désir au-delà de l’identification ».

[…]

[P]sychothérapie et psychanalyse ne sont pas deux domaines exclusifs l’un de l’autre […]. Je crois qu’il y a intersection entre les deux, et que cette intersection n’est pas vide. […] Il y a une zone commune entre psychothérapie et psychanalyse, quand il s’agit des psychothérapies qui procèdent par la parole. Dans les deux cas, il s’agit de logothérapie, d’une thérapie par le langage, voire même d’une thérapie du langage.

[…] Qu’il y ait un rapport entre le mal et la parole n’est pas une découverte de Freud ; la médecine, avant que de s’insérer dans le discours de la science, savait très bien que pour une large part elle opérait avec les mots. Et la religion sait bien la valeur de soulagement de l’aveu, et de la parole d’absolution.

L’envers de la psychanalyse, c’est le discours du maître.

J.-A. Miller

[…]

Ce que je crois être le principe du classement de toute psychothérapie, c’est l’incidence de la parole de l’Autre. Le facteur clé de toute psychothérapie, c’est qu’il y a un Autre qui dit ce qu’il faut faire, un Autre à qui obéit le sujet qui souffre, et dont il attend l’approbation. Ce facteur n’est pas éliminable. […] Ce sont des thérapies par l’image, qui, de ce fait même, sont des thérapies par le maître, par identification au maître.

[…] Pour nous, la possibilité de l’opération analytique ne repose sur rien d’autre que sur un refus de l’analyste, son refus d’utiliser les pouvoirs de l’identification. L’analyste, en tant qu’il occupe la place du grand Autre, de cet Autre auquel s’en remet le sujet dans sa souffrance, l’analyste se refuse à être le maître. Et c’est pourquoi nous parlons de l’éthique de la psychanalyse, et du désir de l’analyste, comme d’un désir qui serait plus fort que le désir d’être le maître. Ce désir est énigmatique.

L’analyse dépend de la position qu’adopte l’analyste.

J.-A. Miller

[…]

C’est seulement à refuser ici d’être psychothérapeute qu’il ouvre la dimension proprement analytique du discours. […] Et c’est en quoi le désir de l’analyste n’est que l’autre face de la passion de l’ignorance. Il faut en effet que l’analyste se montre habité par un désir plus fort que le désir d’être le maître. C’est ce que Freud, à sa façon, exprimait en mettant en garde le psychanalyste contre le désir de guérir, au nom du désir scientifique. C’était déjà distinguer le désir de l’analyste comme désir de savoir, pour que le sujet puisse rencontrer la question de son désir au-delà de l’identification.

[Il] faut que l’analyste ne soit tenu par aucune réponse préalable, c’est-à-dire qu’il ne peut être serf d’aucun préjugé. Il ne peut être au service d’aucune finalité supérieure à l’opération analytique elle-même. Il ne peut être au service que du désir de l’analyste. Il ne peut être l’agent d’aucun discours institué, d’aucune identification sociale.

La psychanalyse ne s’occupe pas du psychisme, elle s’occupe de l’inconscient, ce qui est très différent.

J.-A. Miller

[…]

L’inconscient n’est pas un organe. Il n’assure aucune fonction de connaissance du monde, et dans le champ propre de l’inconscient guérir n’a pas de sens.

[…] Il ne s’agit pas pour l’analyste d’adapter le sujet à une réalité qui n’est que fantasme, ni de restituer en lui le fonctionnement du principe de plaisir, d’assurer la régulation psychique. L’analyste n’est pas non plus le représentant du principe de réalité, en tant que celui-ci n’est que le circuit d’évitement de ce qui fait achopper le principe de plaisir.

[…] L’effet thérapeutique ne couvre pas tout le champ freudien, mais il est bien un sous- produit, voire un sous-ensemble de la psychanalyse. […] Du point de vue de la psychanalyse, la psychothérapie est un usage restreint des effets analytiques.

Ce qui est thérapeutique dans l’opération analytique, c’est le désir.

J.-A. Miller

[…]

L’analyste ne sait pas, c’est-à-dire il ne préjuge pas de ce qu’il te faut à toi en tant que distinct de tout autre. […] L’analyste ne peut promettre ni le bonheur, ni l’harmonie, ni l’épanouissement de la personnalité, dans la mesure où il vise au-delà du principe du plaisir. Et il peut à l’occasion promettre de mettre au clair le désir du sujet. Et d’aider à déchiffrer ce qui insiste dans l’existence. […]

Ce qui est thérapeutique dans l’opération analytique, c’est le désir. En un sens, le désir, c’est la santé. Contre l’angoisse, c’est le remède le plus sûr. La culpabilité est foncièrement due à un renoncement au désir. Mais paradoxalement, le désir est en même temps ce qui est contraire à toute homéostase, au bien-être. Comment comprendre ce qu’est une thérapie qui ne conduit pas au bien-être ?

Références
"Psychothérapie et psychanalyse"
J.-A. Miller
Revue
La Cause freudienne, n°22
Éditeur
École de la Cause freudienne
Année
1992
Plus d'informations

« Psychothérapie et psychanalyse », La Cause freudienne, n° 22, octobre 1992, p. 3-7.

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