Dans la 17ème conférence d’introduction à la psychanalyse, Sigmund Freud donne un statut inédit au symptôme. Plutôt que de s’empresser de l’éradiquer, il s’intéresse à ce que le malade peut en dire. Il découvre alors que les symptômes ont un sens caché, et va plus loin : il révèle la complexité de leur constitution et de leur fonction. Au moyen de vignettes cliniques, il dévoile la logique inconsciente de manifestations apparemment absurdes et la satisfaction insoupçonnée qu’elles recèlent, révélant ainsi un monde intérieur parfois troublant. Ce texte captivant constitue une démonstration en acte de ce qu’est l’investigation psychanalytique.
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[J’ai] mentionné que la pratique clinique en psychiatrie se souciait peu de la forme et du contenu des symptômes, et que c’est justement par là que la psychanalyse a commencé et a tout d’abord constaté que le symptôme est porteur d’un sens et est relié au vécu du malade.
Les symptômes névrotiques ont donc un sens, tout comme les actes manqués, les rêves. Et, tout comme eux, ils ont un lien avec la vie des personnes qui les présentent.
S. Freud
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Je voudrais maintenant vous familiariser avec cette importante découverte par quelques exemples. […] J’ai mes raisons pour choisir mes exemples non pas parmi les cas d’hystérie, mais parmi ceux d’une névrose très bizarre, qui en est, au fond, très proche, à propos de laquelle j’ai à vous dire quelques mots d’introduction.
La névrose obsessionnelle se caractérise par le fait que le malade est occupé par des pensées qui en fait ne l’intéressent pas, qu’il ressent des impulsions qui lui paraissent étrangères, et qu’il est conduit à des actions dont l’accomplissement ne lui procure pas de plaisir mais dont l’omission lui est complètement impossible. Ces pensées obsédantes peuvent être absurdes ou lui être simplement indifférentes, souvent complètement ridicules, dans tous les cas elles donnent lieu à une activité réflexive intense à laquelle il ne s’adonne qu’avec réticence et qui l’épuise. Il doit, contre sa volonté, ruminer et spéculer comme s’il s’agissait de tâches de la plus haute importance dans sa vie. […] Ce que le malade accomplit réellement, ce que l’on appelle les actes compulsifs, ce sont des choses très anodines, inoffensives, le plus souvent des répétitions, des esthétisations cérémonieuses d’activités de la vie courante, mais qui transforment ces tâches nécessaires comme se coucher, se laver, faire sa toilette, se promener, en tâches extrêmement longues et presque impossibles à résoudre.
Mais ne pensez pas que vous rendez service au malade en le persuadant de se distraire, de ne pas s’occuper de ces pensées stupides et de faire quelque chose de raisonnable à la place de ses enfantillages. C’est ce qu’il voudrait lui-même, car il est parfaitement lucide, il partage votre jugement sur ses symptômes obsessionnels, il vous le montre. Il ne peut simplement pas faire autrement [.]
S. Freud
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Une dame proche de la trentaine, souffrant des phénomènes obsessionnels les plus graves, […] accomplissait, entre autres, plusieurs fois par jour, l’étrange acte compulsif suivant. Elle courait de sa chambre à une autre, attenante, se plaçait à un endroit précis près de la table centrale, sonnait sa femme de chambre, lui donnait un ordre quelconque ou la congédiait sans même le faire, puis repartait. […]
Autant de fois que je lui avais posé la question « Pourquoi faites-vous cela ? Quel sens cela a-t-il ? », autant de fois elle m’avait répondu : « je ne sais pas ». Mais un jour, après que j’eus réussi à vaincre chez elle une grande réticence de principe, le savoir lui vint soudain et elle raconta ce qui se rapportait à l’action compulsive. Elle avait épousé il y a plus de dix ans un homme bien plus âgé qu’elle, qui s’était révélé impuissant lors de la nuit de noces. Cette nuit-là, il était venu un nombre incalculable de fois de sa chambre dans la sienne pour réitérer la tentative, à chaque fois en vain. Le matin, il dit d’un ton fâché : « On va avoir honte devant la femme de chambre quand elle fera le lit ». Il saisit une bouteille d’encre rouge qui se trouvait là par hasard et en versa le contenu sur le drap, mais pas exactement à un endroit qui aurait pu prétendre à une telle tache. […] La patiente me conduisit alors vers la table de la deuxième chambre et me fit découvrir une grande tache sur la nappe. Elle m’expliqua aussi qu’elle se plaçait par rapport à la table de sorte que la jeune fille qu’elle appelait ne puisse pas l’ignorer.
Il n’y avait plus de doute sur la relation intime entre la scène qui a suivi la nuit de noces et l’action compulsive actuelle, mais il y avait encore beaucoup à en apprendre.
S. Freud
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Ce qui devient clair, c’est que la patiente s’identifie à son mari ; elle joue son rôle en imitant son va-et-vient d’une chambre à l’autre. […] La preuve que l’action compulsive fait sens serait désormais faite, elle semble être représentation, répétition de la scène significative. Mais si nous explorons les relations entre les deux de façon approfondie, nous obtiendrons probablement des éclaircissements supplémentaires sur le but de l’action compulsive. L’essentiel de celle-ci consiste manifestement à appeler la femme de chambre pour lui mettre la tache sous les yeux, contrairement à la remarque du mari : Il faudrait avoir honte devant la jeune fille. Lui, dont elle joue le rôle, n’a donc pas honte devant la fille, la tache est ainsi à la bonne place. Nous voyons donc qu’elle n’a pas simplement répété la scène, mais l’a prolongée et corrigée, rectifiée. Ce faisant, elle corrige également ce qui fut si embarrassant lors de cette nuit, et qui nécessita le recours à l’encre rouge : l’impuissance. L’action compulsive dit donc : « ce n’est pas vrai, il n’avait pas à avoir honte devant la femme de chambre, il n’était pas impuissant ». Elle transpose ce désir à la façon d’un rêve en une action présente et accomplie qui sert à élever l’homme au-dessus de sa mésaventure.
[N’] avez-vous pas remarqué comment cette action compulsive anodine nous a introduits dans l’intimité de la patiente ? Une femme n’a rien de plus intime à raconter que le récit de sa nuit de noces, et que nous en venions justement à parler de l’intimité sexuelle, cela serait contingent et sans conséquence ?
S. Freud
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Le sens d’un symptôme se trouve, comme nous l’avons appris, dans la relation au vécu du malade. Plus le symptôme est spécifique, plus nous pouvons espérer établir cette relation. La tâche consiste alors à trouver, pour une idée absurde et une action sans but, la situation passée dans laquelle l’idée était justifiée et l’action conforme à un but. L’action compulsive de notre patiente, qui allait à la table et sonnait la femme de chambre, est tout à fait exemplaire pour ce genre de symptômes. Mais il y a aussi, et souvent, des symptômes d’un tout autre genre. On doit les appeler symptômes « typiques » de la maladie, ils ont toujours à peu près les mêmes caractéristiques, les différences spécifiques disparaissent ou s’estompent, de sorte qu’il est difficile de les relier au vécu ou à une expérience précise du malade. […] Cependant, sur un même fond, les malades ont chacun leurs propres caractéristiques, leurs lubies, pourrait-on dire, qui se contredisent d’un cas à l’autre.