J. Lacan, Textes de Lacan

Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien

Extraits

Texte puissant et d’une grande richesse conceptuelle, Subversion du sujet et dialectique du désir, démontre comment la praxis freudienne subvertit définitivement la notion de sujet. Dès lors que l’inconscient est défini comme une chaine signifiante qui s’écrit sur une autre scène, le sujet ne connaît pas le savoir qui l’habite, il ne sait pas ce qu’il dit, il ne se révèle que dans les ratages. Demande, désir et Loi s’éclairent d’un jour nouveau ; l’Autre devient oracle.
Mais ce texte ouvre aussi à une toute autre dimension : celle d’une jouissance qui fait défaut à l’univers. La jouissance étant interdite à qui parle comme tel, c’est la castration qui se révèle comme le ressort majeur de la subversion du sujet et qui permet la formation du désir.

L’inconscient, à partir de Freud, est une chaîne de signifiants qui quelque part (sur une autre scène, écrit-il) se répète et insiste […]
La structure du langage une fois reconnue dans l’inconscient, quelle sorte de sujet pouvons-nous lui concevoir ? […] Qui parle ? quand il s’agit du sujet de l’inconscient. Car cette réponse ne saurait venir de lui, s’il ne sait pas ce qu’il dit, ni même qu’il parle, comme l’expérience de l’analyse tout entière nous l’enseigne.
Énonciation qui se dénonce, énoncé qui se renonce, ignorance qui se dissipe, occasion qui se perd, qu’est-ce qui reste ici sinon la trace de ce qu’il faut bien qui soit pour choir de l’être ? […] [Une] énonciation dont l’être tremble de la vacillation qui lui revient de son propre énoncé.
[Ce] dont il s’agit chez Freud, qui est bien un savoir, mais un savoir qui ne comporte pas la moindre connaissance, en ce qu’il est inscrit en un discours, dont, tel l’esclave-messager de l’usage antique, le sujet qui en porte sous sa chevelure le codicille qui le condamne à mort, ne sait ni le sens ni le texte, ni en quelle langue il est écrit, ni même qu’on l’a tatoué sur son cuir rasé pendant qu’il dormait.

Le dit premier décrète, légifère, aphorise, est oracle, il confère à l’autre réel son obscure autorité.

J. Lacan

L’Autre comme site préalable du pur sujet du signifiant, y tient la position maîtresse, avant même d’y venir à l’existence […]. Car ce qui est omis dans la platitude de la moderne théorie de l’information, c’est qu’on ne peut même parler de code que si c’est déjà le code de l’Autre, or c’est bien d’autre chose qu’il s’agit dans le message, puisque c’est de lui que le sujet se constitue, par quoi c’est de l’Autre que le sujet reçoit même le message qu’il émet.
Prenez seulement un signifiant pour insigne de cette toute puissance, ce qui veut dire de ce pouvoir tout en puissance, de cette naissance de la possibilité, et vous avez le trait unaire qui, de combler la marque invisible que le sujet tient du signifiant, aliène ce sujet dans l’identification première qui forme l’idéal du moi. […]
Effet de rétroversion par quoi le sujet à chaque étape devient ce qu’il était comme d’avant et ne s’annonce : il aura été, – qu’au futur antérieur.

Il n’y a de demande qui ne passe à quelque titre par les défilés du signifiant.

J. Lacan

Le désir s’ébauche dans la marge où la demande se déchire du besoin : cette marge étant celle que la demande, dont l’appel ne peut être inconditionnel qu’à l’endroit de l’Autre, ouvre sous la forme du défaut possible qu’y peut apporter le besoin, de n’avoir pas de satisfaction universelle (ce qu’on appelle : angoisse). Marge qui, pour linéaire qu’elle soit, laisse apparaître son vertige, pour peu qu’elle ne soit pas recouverte par le piétinement d’éléphant du caprice de l’Autre. C’est ce caprice néanmoins qui introduit le fantôme de la Toute-puissance non pas du sujet, mais de l’Autre où s’installe sa demande […], et avec ce fantôme la nécessité de son bridage par la Loi.
Mais nous nous arrêtons là encore pour revenir au statut du désir qui se présente comme autonome par rapport à cette médiation de la Loi, pour la raison que c’est du désir qu’elle s’origine, en le fait que par une symétrie singulière, il renverse l’inconditionnel de la demande d’amour, où le sujet reste dans la sujétion de l’Autre, pour le porter à la puissance de la condition absolue (où l’absolu veut aussi dire détachement). […]
[Le] désir de l’homme est le désir de l’Autre, où le de donne la détermination dite par les grammairiens subjective ; à savoir que c’est en tant qu’Autre qu’il désire […].
C’est pourquoi la question de l’Autre qui revient au sujet de la place où il en attend un oracle, sous le libellé d’un : Che vuoi ? que veux-tu ? est celle qui conduit le mieux au chemin de son propre désir, – s’il se met, grâce au savoir-faire d’un partenaire du nom de psychanalyste, à la reprendre, fût-ce sans bien le savoir, dans le sens d’un : Que me veut-il ?

Que suis-Je ? Je suis à la place d’où se vocifère que « l’univers est un défaut dans la pureté du Non-Être ».

J. Lacan

[Cette] place fait languir l’Être lui-même. Elle s’appelle la Jouissance, et c’est elle dont le défaut rendrait vain l’univers.
En ai-je donc la charge? – Oui sans doute. Cette jouissance dont le manque fait l’Autre inconsistant, est-elle donc la mienne ? L’expérience prouve qu’elle m’est ordinairement interdite, et ceci non pas seulement, comme le croiraient les imbéciles, par un mauvais arrangement de la société, mais je dirais par la faute de l’Autre s’il existait : l’Autre n’existant pas, il ne me reste qu’à prendre la faute sur Je, c’est-à-dire à croire à ce à quoi l’expérience nous conduit tous, Freud en tête : au péché originel. […]
Mais ce qui n’est pas un mythe […] c’est le complexe de castration.
Nous trouvons dans ce complexe le ressort majeur de la subversion même que nous tentons ici d’articuler avec sa dialectique. Car proprement inconnu jusqu’à Freud qui l’introduit dans la formation du désir, le complexe de castration ne peut plus être ignoré d’aucune pensée sur le sujet. […]
Ce à quoi il faut se tenir, c’est que la jouissance est interdite à qui parle comme tel, ou encore qu’elle ne puisse être dite qu’entre les lignes pour quiconque est sujet de la Loi, puisque la Loi se fonde de cette interdiction même. […] Mais ce n’est pas la Loi elle-même qui barre l’accès du sujet à la jouissance, seulement fait-elle d’une barrière presque naturelle un sujet barré. […] C’est la seule indication de cette jouissance dans son infinitude qui comporte la marque de son interdiction […]

Le désir est une défense, défense d’outre-passer une limite dans la jouissance.

J. Lacan

[Le] névrosé couvre la castration qu’il nie. Mais cette castration, contre cette apparence, il y tient. Ce que le névrosé ne veut pas, et ce qu’il refuse avec acharnement jusqu’à la fin de l’analyse, c’est de sacrifier sa castration à la jouissance de l’Autre, en l’y laissant servir. Et bien sûr n’a-t-il pas tort, car encore qu’il se sente au fond ce qu’il y a de plus vain à exister, un Manque-à-être ou un En-Trop, pourquoi sacrifierait-il sa différence (tout mais pas ça) à la jouissance d’un Autre qui, ne l’oublions pas, n’existe pas. Oui, mais si par hasard il existait, il en jouirait. Et c’est cela que le névrosé ne veut pas. Car il se figure que l’Autre demande sa castration. Ce dont l’expérience analytique témoigne, c’est que la castration est en tout cas ce qui règle le désir, dans le normal et l’anormal.[…]
La castration veut dire qu’il faut que la jouissance soit refusée, pour qu’elle puisse être atteinte sur l’échelle renversée de la Loi du désir.

Références
"Subversion du sujet et dialectique du désir"
Écrits
J. Lacan
Éditeur
Seuil
Année
1966
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Extraits de  » Subversion du sujet et dialectique du désir « , Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 794-827.

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