J’ai commencé à travailler en cartel alors que j’étais encore en analyse chez un membre de l’IPA. Proposition en avait été faite à de jeunes analysants par deux analystes de Bordeaux avant la fondation de l’ECF. J’étais intéressée par l’enseignement de Lacan : le découpage qu’il effectue entre symbolique, imaginaire et réel dès ses premiers séminaires, m’avait paru être un fil précieux car efficace face aux textes confus que je lisais dans les groupes de travail auxquels je participais. À partir de là j’avais décidé de m’aventurer davantage dans son enseignement. J’ai été accueillie sans réserve dans ce cartel et ai pu me mettre au travail. Cela n’a pas cessé durant ces nombreuses années.
Le cartel comme entrée dans l’Ecole
Bien sûr, j’ai utilisé le cartel comme instrument de savoir. Dans son article « Cinq variations sur le thème de l’élaboration provoquée», Jacques-Alain Miller écrit : « Le travail en cartel ne m’a jamais intéressé qu’à des fins de savoir. Mais j’admets volontiers qu’il peut y en avoir d’autres. » Alors, d’autres fins ? Oui, qui ont été mon engagement vers l’École.
L’effet de ce premier travail en cartel m’a décidée à changer d’analyste et à la faveur de la disparition de mon premier analyste, j’ai continué l’analyse avec un analyste de l’École.
J’ai ensuite fait un cartel sur l’acte de fondation de son École par Jacques Lacan et sur la proposition de 67. L’effet en a été la décision d’aller faire un premier contrôle à Paris.
Cartel et passe
J’ai continué à travailler en cartel et y ai découvert les surprises que ce travail comporte.
Le cartel que je faisais juste avant ma nomination d’AE a été pour moi crucial.
J’ai commencé ce cartel deux ans après avoir commencé une nouvelle cure. Je rappelle le rêve inaugural de cette dernière cure. Avant même la première rencontre, je rêve celle-ci : je suis en présence de l’analyste et de sa femme, ils sont ennuyés car leurs enfants ont une fabrique de chocolats, mais aucun emballage. Je les rassure et propose mes services : je vais leur procurer des sachets, des sachets transparents de confiseurs. Puis je dis à l’analyste : « Mais je ne suis pas venue ici pour encore rendre service ! » Il lève les bras d’un air fataliste, comme s’il disait : eh oui, encore une fois, après on verra. Ensuite, il me montre un paquet de feuilles posé sur son bureau, me dit que ce sont des notes qui me concernent, et me propose d’en prendre connaissance. Dans le rêve, je pense qu’il s’agit de résultats d’analyses biologiques et je trouve inutile d’en faire la lecture. Je me reconnais dans ce « rendre service », qui fait le fond de mon fantasme, et l’analyse du rêve s’oriente sur ce point, ouvrant au récit de mon histoire.
Mais que disait de plus ce rêve ? L’équivoque « sachez » indique que je veux encore donner du savoir, quoique transparent, du sens. Je suis au service du sujet supposé savoir et je donne mon savoir à l’analyste. Le rêve dit qu’il y a aussi le corps en jeu : un objet, le chocolat, pourrait satisfaire la pulsion. Cet objet est mis du côté de l’analyste, selon la logique de la tromperie inhérente au transfert. Lacan, dans le Séminaire xi, dit : « À persuader l’autre qu’il a ce qui peut nous compléter, nous nous assurons de pouvoir continuer à méconnaître précisément ce qui nous manque.1Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973.»
Mais le rêve va plus loin encore: il dit qu’il y a au delà du sens et de l’objet, un réel. L’analyse doit être aussi une analyse biologique, selon les signifiants de ce rêve, elle concerne le corps vivant, le corps affecté du langage et qui se jouit. Je néglige, préférant un savoir incorporel. Il y a là un « ne pas vouloir savoir », un savoir que j’exclue d’emblée. Je me borne à parler de ma position : rendre service.
Deux ans après, l’analyse ayant avancé, j’accepte d’être le plus-un d’un cartel. L’objet du travail est la jouissance dans le dernier enseignement de Lacan. Nous décidons de travailler le Séminaire xxiii2Lacan J., Le Séminaire, livre xxiii, Le sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005., pas sur le mode de la lecture, mais en partant chacun d’une question rencontrée dans ce séminaire et dans le texte de Lacan, « Joyce le symptôme3Lacan J., « Joyce le symptôme », ibid., p. 167.». Je pouvais facilement provoquer l’élaboration des cartellisants, ils sont intervenus dans des soirées à Bordeaux et lors d’une rentrée des cartels. Dans le cartel, le problème c’est moi. Mon sujet est « Jouissance du signifiant et corps qui se jouit », sujet choisi en fonction bien sûr de ce qui m’intéressait alors dans mon analyse. J’ai travaillé en particulier les six leçons du cours de J.-A. Miller publiées dans le n°44 de La Cause freudienne, réunies sous le titre « Biologie lacanienne et événement de corps4Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, n°44, février 2000.». Je connaissais déjà ce texte lors du rêve inaugural dit plus haut, mais je n’avais pas associé sur son titre. Ce texte m’intéressait, je le trouvais très enseignant, je l’ai lu et relu plusieurs fois, crayon à la main, revenant sur certains passages, lisant les références.
Mais je ne pouvais rien produire.
En fait, le savoir accessible dans ce texte faisait bouchon, exerçait une fascination certaine. Il faisait écho à différents points de mon analyse déjà cernés, mais plus précisément cette fois. Il y avait une sorte de double lecture : celle faite du cours de J.-A. Miller et celle faite dans la cure. L’impact d’un signifiant équivoque sur le corps, source de jouissance, était reconnu dans mon expérience d’analysante. Le cours confirmait un « C’est ça », et ce savoir n’était d’aucune utilité dans la cure, la jouissance était bien là. Mais qu’en faire ? Toute la question était là, à traiter dans la cure, indiquant une limite au travail possible dans le cartel.
Dans le cartel, je m’intéressais trop au savoir contenu dans ce cours. Ici se vérifie que le travail en cartel peut relancer le travail de l’analysant et que le travail côté analyse peut faire sauter le bouchon que constitue le savoir institué auquel nous avons accès dans les textes. Le plus-un a à faire dé-consister ce savoir dans le cartel.
Il a fallu que dans la cure soit produit un nouveau savoir, un oxymore diffractant l’équivoque du signifiant traumatique, pour que la fin puise advenir.
Le plus-un n’a pas à savoir, mais doit venir avec des point d’interrogations. Je ne pouvais pas interroger ce texte. Plus-un de moi-même si je puis dire, je savais qu’il fallait que ça dé-consiste ailleurs, dans la cure. L’élaboration ne pouvait se faire que là, provoquée par un analyste qui n’était plus le sujet supposé savoir. Son issue a-t-elle été la passe ? C’est une hypothèse, car mon sujet de cartel et fin de cure étaient bien noués. Dans ses variations sur l’élaboration provoquée, J.-A. Miller souligne que la passe est elle-même une élaboration provoquée. La procédure provoque par le dispositif qu’elle offre : on s’adresse à deux passeurs pour élaborer un savoir sur sa propre cure. Ensuite, l’AE est provoqué à élaborer devant le public.