Une trouvaille implique une idée heureuse, une issue simple et lumineuse à une question complexe. En 1964, dans son « Acte de fondation1Cf. Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 231.», Lacan propose une manière d’engager chacun dans le travail de transmission de la psychanalyse. Il invente un outil léger qu’il place comme pivot du fonctionnement de l’École. Une manière ingénieuse pour que chacun y mette du sien dans l’avancée de la psychanalyse. Le cartel prend une place essentielle dans la vie de l’École dès sa fondation.
C’est la thèse du « transfert de travail » qui a guidé Lacan dans la fondation de son École, nous rappelle Jacques-Alain Miller2Miller J.-A., « L’École, le transfert et le travail », La Cause du désir, n° 99, juin 2018, p. 138., un type de transfert qui permet de faire circuler le travail de « l’un à l’un3Ibid., p. 148.». La trouvaille de Lacan ne se résume pas à la seule invention de l’organe palpitant qu’est le cartel dans son École, elle est aussi la manière par laquelle il vise à entretenir sa vitalité : le transfert. S’orienter d’une certitude issue de l’expérience analytique : « le savoir ne s’y transmet que par Éros4Ibid., p. 147.».
L’enseignement de la psychanalyse ne peut se transmettre d’un sujet à l’autre que par les voies du transfert de travail.
J. Lacan
Le cartel est la manière dont chacun « s’engage […] dans l’École5Lacan J., « Note adjointe à l’Acte de fondation », Autres écrits, op. cit., p. 235.», puisque « L’enseignement de la psychanalyse ne peut se transmettre d’un sujet à l’autre que par les voies du transfert de travail.6Ibid., p. 236.» Un effet de transmission est en jeu, un désir qui passe de l’un à l’autre dans une recherche commune qui préserve la solitude de chacun. Une tension est à l’œuvre entre cette solitude que requiert l’étude et l’élan qui s’obtient de la mise en commun des lectures qui se croisent : « la transmission d’un sujet à l’autre [est] une transmission par récurrence de ce que la psychanalyse enseigne7Miller J.-A., « L’École, le transfert et le travail », op. cit., p. 147.».
Une autre dimension de la trouvaille de Lacan se dégage : le cartel ne va pas sans la rencontre avec quelques autres avec qui, pendant un temps, se partage l’entreprise de travailler ensemble. Des petits groupes de « travailleurs décidés8Lacan J., « Acte de fondation », op. cit., p. 233.», avec une certaine joie de se mettre à la tâche avec sérieux.
Chaque cartel fait lien pendant un temps puis se dissout. Lacan a ainsi inventé une manière de désagréger la solidité imaginaire du collectif en proposant une façon de travailler qui repose sur la souplesse du petit groupe – 4 plus un –, et en y ajoutant comme ingrédient fondamental la permutation, pour « prévenir l’effet de colle9Lacan J., « D’écolage », Le Séminaire, Dissolution, in Aux confins du Séminaire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Navarin, coll. La Divina, 2021, p. 56.». Salutaire manière de maintenir vif le désir de travail.
Se retrouver avec d’autres pour constituer un cartel implique d’introduire quelque chose de l’ordre du plaisir de travailler ensemble. Nulle contrainte, obligation, ni soumission. Le choix ouvre à l’invention à chaque fois renouvelée d’un désir de travailler pour faire apparaître un « produit propre à chacun et pas collectif10Ibid.».
N’est-ce pas une manière inventive d’ouvrir la porte à ce que chacun puisse mettre en forme sa trouvaille singulière en la confrontant à la rencontre avec d’autres lectures, et de préserver « un transfert qui s’adresse au non-savoir11Miller J.-A., « L’École, le transfert et le travail », op. cit., p. 151.» ? Chaque cartel prend ainsi la forme d’un pari qui laisse intact le goût de toujours recommencer.
Omaïra Meseguer est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.