Cartello, 5

Le cartel et le lien social

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01/11/2014
Marisa Morao

Marisa Morao est déléguée aux cartels de l’EOL (Argentine). Ce texte est extrait de l’ouverture des XXIIIes Journées nationales des cartels, Córdoba (Argentine), septembre 2014.

Le pari décidé de la Commission des cartels a d’emblée été de favoriser le transfert de travail entre praticiens de la psychanalyse, étudiants, profanes intéressés et amis du discours analytique. Nous misons sur la fécondité des effets d’un lien social pour faire ex-sister la psychanalyse sous les espèces du cartel.

L’élaboration provoquée a pris la forme d’une question : Comment la pratique contemporaine s’articule-t-elle avec le thème particulier que vous avez choisi pour votre recherche en cartel ? Cette question n’était pas fortuite : elle forçait chacun à faire usage du cartel comme d’un laboratoire ouvert sur le malaise dans la civilisation et où l’on puisse mettre à l’épreuve l’efficacité des outils que nous offre la psychanalyse d’orientation lacanienne pour le traitement de la souffrance moderne. Le moteur en est un trou dans le savoir concernant ce qu’est un analyste. En fin de compte, cette question engage l’avenir de la psychanalyse.

Le cartel reste un groupe, qu’il soit petit ou plus élargi. Mais sa logique prend en compte les effets de groupe et vise, de par son fonctionnement et sa structure, à les limiter le plus possible. La structure du cartel nous met en garde quant au fait que nous sommes toujours au bord de l’embrouille.

Ce dispositif de travail conjugue ce lien social particulier, qui invite à produire un savoir décomplété, et la parole contingente au un par un. Rappelons aussi que son fonctionnement parie sur une logique sans Autre – mais sans Autre ne signifie pas sans communauté ou sans École. Il participe d’une communauté qui prétend que ses membres ont en commun la différence.

Il ne s’agit pas de promouvoir une reviviscence stoïcienne où l’on pourrait se passer des autres – « se passer de l’Autre pour être unique », mais d’inviter à toucher le bord de l’inconsistance et de l’indicible.

Le cartel et l’époque

Le nouveau siècle rend patent qu’il n’y a nul progrès en matière de ségrégation. L’individualisme de masse contemporain, qui pousse à l’uniformité des modes de jouir, débouche sur « extension de plus en plus dure des procès de ségrégation1Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 257.», comme Lacan l’anticipait en 1967.

Le rejet de l’ « objet pathologique2Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 247.», cette jouissance excessive qui s’ajoute à l’Autre – Lacan mettait cela en relief dans le Séminaire XI à propos du nazisme – peut s’étendre. Il s’étend à l’inconnu, à l’étranger, à l’hétérogène, aux diverses incarnations du féminin, à ce qui ne fait pas masse, à ce qui ne s’emboîte pas dans le discours universel.

Le cartel peut être un refuge pour le discours analytique, dont nous savons combien il est délicat. En tant que pratique du lien social ne niant pas de manière systématique le réel du groupe, le cartel va contre les tentatives de ségrégation à l’encontre du discours analytique. Qui plus est, il va contre l’autoségrégation, soit cette modalité de réponse qui implique de ne plus croire en l’Autre, de le rejeter, sans affronter véritablement son inconsistance.