Cartello, 44

Des résultats en cartel

06/10/2023
Laura Vigué

Dans « D’écolage », Lacan écrit au sujet du travail en cartel : « Aucun progrès n’est à attendre, sinon d’une mise à ciel ouvert périodique des résultats comme des crises de travail »1Lacan J., « D’écolage », Aux confins du séminaire, Paris, Navarin, 2021, p. 56.. C’est dans ce texte qu’il pose le cartel comme « l’organe de base » de l’École de la Cause Freudienne, au moment où il dissout l’École freudienne de Paris.

Le progrès qui n’est pas à attendre s’oppose à l’exposition de résultats. N’est-ce pas contradictoire ? L’existence de résultats ne constituerait-elle pas un progrès ?

Le signifiant progrès avait déjà été employé par Lacan dans l’Acte de fondation de l’École freudienne de Paris. Il y proposait que l’École soit un « organisme » dans lequel « un travail » s’accomplirait, via le cartel, qui « par une critique assidue, y dénonce[rait] les déviations et les compromissions qui amortissent son progrès [de la pratique de la psychanalyse] en dégradant son emploi »2Lacan J., « Acte de fondation », Autres Ecrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229..

La réutilisation de ce signifiant est donc une réponse que Lacan s’adresse fort de seize années supplémentaires de pratique en tant qu’analyste, mais aussi des avancées de son séminaire et de l’expérience de l’École freudienne de Paris. À l’optimisme et au ton conquérant de l’Acte de fondation de l’EFP, il assène « aucun progrès n’est à attendre ».

Il ne croit plus à une marche en avant vers un idéal qui serait un point de visée. Il propose plutôt d’exposer et de tirer conséquence des résultats qu’il y aurait. Ceux-ci apparaissent ici presque comme une contingence, quelque chose qui cesserait de ne pas s’écrire, arraché sur fond d’impossible.

Il est frappant de constater que si Lacan entame l’idéal du progrès et s’intéresse aux conséquences des résultats, il met à nouveau le cartel au centre de son organisation de travail.

Jacques-Alain Miller souligne une affinité du cartel avec la passe en cela que tous deux ont pour but de permettre que l’École ne tombe pas sous la coupe des didacticiens. Et il ajoute : « le cartel tendait dans l’idée de Lacan à faire aussi échapper à l’emprise des didacticiens les membres de base incités à ne pas se grouper en cliques concurrentes, mais à entrer dans l’organisation circulaire de l’Ecole »3Miller J.-A., « Le cartel dans le monde »..

Mettre en tension le cartel et la passe est une façon de formaliser le cartel comme pouvant parer à l’émergence d’une hiérarchie sclérosante au sein de l’École. En effet, le cartel est un petit groupe, ce qui permet une certaine horizontalité entre les membres et que chacun puisse prendre la parole. De ces petites cellules peuvent alors surgir des travaux basés sur la recherche faite en leur sein. C’est sur l’organisation circulaire de l’École via le cartel que Lacan parie pour permettre l’émergence de résultats concernant la pratique de la psychanalyse.


Lauré Vigué est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.

  • 1
    Lacan J., « D’écolage », Aux confins du séminaire, Paris, Navarin, 2021, p. 56.
  • 2
    Lacan J., « Acte de fondation », Autres Ecrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.
  • 3