Cartello, 43

Cartellisante

11/07/2023
Laure Vessayre

Jacques-Alain Miller souligne que « le travail de l’École […] passe par le cartel – non par le séminaire, la conférence, le cours »1Miller J.-A., « Le cartel dans le monde ».. Dans son « Acte de fondation », Lacan faisant du cartel le dispositif privilégié d’étude de la psychanalyse, rompt avec l’enseignement classique. En optant pour le cartel, il souhaite une École éveillée et au travail. Il privilégie ainsi l’élaboration à quelques-uns pour exécuter le travail nécessaire au progrès de la psychanalyse.

Il y a bien des années, le cartel est venu à moi sur l’invitation d’une collègue à travailler un séminaire. Je méconnaissais le dispositif du cartel, mais la possibilité de lire un séminaire à plusieurs me réjouissait. Mon enthousiasme fut stoppé net quand, au moment de déclarer le cartel à l’École, notre plus-un recula. Ce fut un moment décisif, scellant ma rencontre avec l’École et initiant mon engagement pour la cause analytique. L’École s’était présentée à moi bien avant mon entrée à l’Association de la Cause freudienne en Midi-Pyrénées sans que j’en saisisse alors toutes les coordonnées. Cette rencontre manquée m’a déroutée: quel était ce dispositif connecté à l’École? Nous avons alors constitué un nouveau cartel sur Le sinthome.

Loin de gommer l’opacité de ce séminaire et d’y déterrer le savoir enfoui, le cartel a renversé mon rapport au savoir. Mes habitudes et certitudes ont volé en éclats, tant le cartel a vivifié mon désir de travail. Nul discours du maître, chacun est un sujet-supposé-savoir, le savoir est à construire, dans un laps de temps défini, pour chaque cartellisant, à partir de sa question de travail, hors tout programme et standard. La dissolution du cartel, inscrite dès sa constitution, en fait toute son originalité et son incomparable: travailler dans un temps défini avec, à l’horizon, un produit de cartel. Je suis restée seule dans mon déchiffrage du séminaire, mais dans une solitude partagée, naviguant sans peur dans des zones d’ombres, des incertitudes, des impasses. Je suis devenue une cartellisante.

Déclarer un cartel à l’École participe d’un engagement de travail, c’est un élan des cartellisants vers l’École qu’elle sait accueillir. Si le travail en cartel est rigoureux, arrimé à l’éthique de la psychanalyse, il n’en est pas moins joyeux et aventureux.

Mon désir de travail ne cesse d’être attisé, renouvelé, ne serait-ce que par ses formes variées et souples, comme les cartels dits éclair, liés à l’organisation d’une journée de travail ou d’un colloque. Ces usages du cartel permettent en effet d’approcher la politique de l’École connectée au monde contemporain: lire les discours qui le traversent, les éclairer avec les concepts lacaniens, en saisir les reliefs et les contours, sans nostalgie.

Aujourd’hui, plus encore, le cartel garde toute son actualité, je lui suis fidèle, je lui dois ma rencontre avec l’École.


Laure Vessayre est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.