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Sainte Marguerite-Marie Alacoque

Vie et révélations écrites par elle-même

Sainte Marguerite-Marie Alacoque
Références
Sainte Marguerite-Marie Alacoque
Sainte Marguerite-Marie Alacoque
Éditeur, ville

PUF

Année

2016

01/10/2021
Véronique Eydoux
  • « Le sixième mois après ma profession, l’on me commanda d’écrire ce qui se passait dans mon intérieur, et j’y sentais de la difficulté. Mon Dieu me dit : “Pourquoi refuses tu d’obéir à ma voix et d’écrire ce qui vient de moi et non de toi ?”1Alacoque M., Vie et révélations écrites par elle-même, Plouisy, Rassemblement à Son Image éditions, p. 16.». Vie et révélations écrites par elle-même est le récit écrit par Marguerite-Marie Alacoque, sur ordre et avec « une répugnance mortelle2Ibid., p. 17.», de souvenirs de jeunesse et de l’expérience mystique d’une fille et petite-fille de notaires royaux.

    Marguerite naît en 1647, devient Marguerite-Marie en 1670 lors de sa confirmation, puis sœur Marguerite-Marie lorsqu’elle prononce ses vœux en 1672. Elle meurt en 1690, sera béatifiée en 1864 puis canonisée par Benoît XVI en 1920. Elle devient alors Sainte Marguerite-Marie Alacoque après que trois miracles lui ont été officiellement attribués.

    Lacan fait référence à Marguerite-Marie Alacoque dans le Séminaire VII. Il y souligne  la « récompense d’effusions spirituelles » conjuguée aux exploits « au-delà du principe du plaisir » de la « bienheureuse Marie A[l]acoque » à laquelle il arriva de manger les excréments d’un malade. Il remarque que « ce qui est de l’ordre de l’érotisme est ici voilé3Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 221.».

    Le lecteur de cet ouvrage suivra pas-à-pas le parcours d’une petite fille ayant un amour précoce pour le Saint-Sacrement. Elle fait vœu d’éternelle chasteté vers ses cinq ans, poussée à prononcer ces paroles sans en connaître le sens4Cf. Alacoque M., Vie et révélations…, op. cit., p. 23.. Son enfance est marquée par la mort de quatre de ses frères et sœurs et par la perte de son père lorsqu’elle a huit ans. Marguerite vivra alors quelques années sous la houlette sévère de la famille paternelle qui règne sur la maisonnée et la met à son service ; elle ne trouve de réconfort que dans la prière.  Elle est ensuite pensionnaire chez les Clarisses. Affectée d’une longue maladie qui l’empêchera de marcher pendant quatre ans, elle promet, si elle guérit, de se vouer à la Vierge Marie.

    Elle « [reçoit] la guérison5Ibid., p. 26.» et se voue à la Vierge comme elle en a fait la promesse.

    Marguerite rapporte que « [s’]étant assise en disant [le] rosaire », la Vierge lui fit cette réprimande qui ne s’effaçât jamais de son esprit : « Je m’étonne, ma fille, que tu me serves si négligemment.6Ibid., p. 27.» Ce coup de semonce donne la tonalité du dialogue qui s’engage avec la Vierge et se poursuivra avec Jésus : réciter le rosaire certes, mais il convient, ce faisant, d’engager son corps dans l’inconfort et dans la douleur. Marguerite, novice au monastère de Paray-le-Monial peine à obéir à ses supérieures. Son Seigneur lui demande alors de faire tout ce que celles-ci lui demanderont et même de ne rien faire de ce qu’il lui demandera sans leur accord7Ibid., p. 69.. Désormais, obéissant à ses supérieures, elle obéira à son seigneur et vice versa. Le sujet de la désobéissance s’efface.

    « Un soir, à l’oraison, il lui fit ce reproche qu’il ne voulait point de cœur partagé, et que si elle ne se retirait des créatures, qu’il se retirerait d’elle ; ce qui lui fut si sensible, qu’elle le pria de ne lui laisser de pouvoir que pour l’aimer.8Ibid., p. 59.» Marguerite renonce donc à l’amitié et à la tendre affection qu’elle avait pour une de ses compagnes de noviciat. Elle fait de Jésus son seul maitre, sa seule attache. « Après avoir vidé mon cœur et mis mon âme toute nue, il y alluma un si ardent désir de l’aimer et de souffrir, qu’il ne me donnait point de repos9Ibid., p. 55.». Le dénuement, le renoncement et l’effacement ouvrent chez elle à « une faim insatiable des humiliations et mortifications10Ibid. p. 57.».

    « Souffrir en silence, sans consolation, soulagement ni compassion ; et mourir avec ce Souverain de mon âme, accablée sous la croix de toutes sortes d’opprobres, de douleurs, d’humiliations, d’oublis et de mépris11Ibid., p. 63.». La position de Marguerite relève du « tout souffrir12Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Du symptôme au fantasme et retour », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 2 mars 1983, inédit.» propre aux saints, tel que le  souligne Jacques-Alain Miller.

    Elle progresse d’un pas décidé vers une position d’objet qui tend à s’identifier idéalement au crucifié.

    Ainsi, prononce-t-elle ses vœux en 1672, au comble des souffrances masochistes dédiées à son Seigneur. Elle souffre parce qu’Il la fait souffrir. Il la fait souffrir parce qu’il est généreux. Il est généreux avec elle parce qu’il l’a choisie. Lacan précisera que, regardant de bien près la vie des saints, nous constaterons « que le saint ne peut aimer Dieu que comme un nom de sa jouissance. Et sa jouissance, au dernier terme, est toujours assez monstrueuse13Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 421.». La jouissance de Marguerite est monstrueuse au sens de cette logique implacable qui s’attache à essayer de « forcer les portes de l’enfer intérieur14Lacan J., Le Séminaire, livre VII, op. cit., p. 221.».

    Ces vœux, moment symbolique d’épousailles avec Jésus, constituent un point de bascule.

    Ainsi Jésus lui dit : « Si jusqu’à présent tu n’as pris que le nom de mon esclave, je te donne celui de la disciple bien-aimée de mon sacré Cœur15Alacoque M., Vie et révélations…, op. cit., p. 79.». D’abord en position d’esclave, soumise à la volonté de renoncement, de dénuement, d’obéissance aveugle et de souffrances imposées par son Souverain, elle accède ensuite à son sacré Cœur : « Il me promit de ne plus me quitter, en me disant : “Sois toujours prête à me recevoir car je veux désormais faire ma demeure en toi”.16Ibid., p. 66.» Ce temps semble être celui d’un certain apaisement.

    Le corps de Marguerite-Marie n’est plus uniquement un  corps de souffrances mais aussi celui d’un repos possible : « Il me fit reposer fort longtemps sur sa divine poitrine, où il me découvrit les merveilles de son amour17Ibid., p. 78.». « Après il me demanda mon cœur, lequel je le suppliai de prendre, ce qu’il fit, et il le mit dans le sien adorable18Ibid.».

    Le dialogue avec Jésus indique que la dialectique de l’amour subit une transformation. Jésus, jusque-là en position d’être aimé par Marguerite, accède à la position d’amant/d’aimant, puisqu’il lui donne son cœur et les merveilles de son amour. Cette nouvelle dialectique évoque l’ »événement à proprement parler miraculeux19Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, op. cit., p. 71.» de l’amour, la transformation de « l’aimé, en amant20Ibid.» dont parle Lacan dans le Séminaire Le Transfert.

    Toutefois, le temps deux de la construction amoureuse ne met pas de point d’arrêt aux souffrances et la dimension érotique soulignée par Lacan est palpable dans les deux moments de cet amour dont l’expression est toujours paroxystique. L’usage du syntagme : « mets délicieux » pour exprimer les exercices masochistes de piété indique la prévalence de la pulsion orale et rappelle qu’il arriva à Marguerite, pour ces sortes d’exercices, de manger des excréments de malades. Aussi bien Jésus peut-il lui demander « pour honorer son jeûne au désert21Alacoque M., Vie et révélations…, op. cit., p. 137.» de ne pas boire pendant cinquante jours.

    La subversion de la souffrance par la signification d’amour est l’heureuse invention de Marguerite. Aux souffrances contingentes se substitue l’intention généreuse de Jésus à son égard. Fais-moi mal ! est ici demande d’amour et marque de jouissance. L’Autre auquel à affaire Marguerite n’est pas un Autre méchant, c’est un Autre qui exige d’elle qu’elle souffre pour qu’Il existe.

    Marguerite-Marie ne cesse pas de dire : Encore ! et si son partenaire ne dit jamais : « c’est assez », « satis est ! », c’est parce que qu’il n’y a pas de satiété de l’amour divin.

    Sacrée lecture !

  • 1
    Alacoque M., Vie et révélations écrites par elle-même, Plouisy, Rassemblement à Son Image éditions, p. 16.
  • 2
    Ibid., p. 17.
  • 3
    Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 221.
  • 4
    Cf. Alacoque M., Vie et révélations…, op. cit., p. 23.
  • 5
    Ibid., p. 26.
  • 6
    Ibid., p. 27.
  • 7
    Ibid., p. 69.
  • 8
    Ibid., p. 59.
  • 9
    Ibid., p. 55.
  • 10
    Ibid. p. 57.
  • 11
    Ibid., p. 63.
  • 12
    Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Du symptôme au fantasme et retour », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 2 mars 1983, inédit.
  • 13
    Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le Transfert, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 421.
  • 14
    Lacan J., Le Séminaire, livre VII, op. cit., p. 221.
  • 15
    Alacoque M., Vie et révélations…, op. cit., p. 79.
  • 16
    Ibid., p. 66.
  • 17
    Ibid., p. 78.
  • 18
    Ibid.
  • 19
    Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, op. cit., p. 71.
  • 20
    Ibid.
  • 21
    Alacoque M., Vie et révélations…, op. cit., p. 137.