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Leçons de psychanalyse, lacaniennes
Sans réduire Lacan au retour à Freud,
c’est l’occasion de ne pas oublier que c’est lui qui, contre l’IPA,
a restauré à l’orientation freudienne son tranchant,
sa spécificité, contre tous les dévoiements
psycho-bio-sociologiques qui font à nouveau flores aujourd’hui.
Serge Cottet, « Qui sont les freudiens ? »
(Re)lire ce recueil1Cottet S., L’inconscient de papa et le nôtre. Contribution à la clinique lacanienne, éd. Michèle, coll. « Je est un autre », Paris, 2012. de dix-sept articles écrits entre 1985 et 2012 (date de sa publication), c’est découvrir comment passe non seulement le désir de Serge Cottet pour la psychanalyse et sa transmission – désir en acte durant ses années d’enseignement au département de psychanalyse à l’université de Vincennes à Saint-Denis –, mais aussi le désir de l’analyste qui l’anime.
Désir de transmission ? Au travers ses commentaires – à la fois érudits et accessibles, avec honnêteté et rigueur, sans préjugés ni anathèmes – des différents auteurs du mouvement psychanalytique, de Freud à ses compagnons de route et postfreudiens, à Lacan et ses élèves, ainsi que d’auteurs connexes (Gilles Deleuze), S. Cottet fait vivre une psychanalyse en mouvement, à l’encontre de son embaumement qui la fixerait à un temps immuable de « l’inconscient de papa ». Bien au contraire, il plonge dans l’actualité, confrontant la psychanalyse aux problématiques contemporaines, à l’affût de l’évolution et de la singularité de la façon dont le malaise se manifeste aujourd’hui – comme par exemple « les symptômes les plus actuels, générés par l’épuisement de l’ordre symbolique : désinsertion, addiction, égarements de la jouissance sexuelle aliénée à des impératifs, autant de modalités de la libido qui paraît échapper au refoulement2« Introduction », ibid., p. 10. ».
Désir pour la psychanalyse ? La psychanalyse n’étant pas exempte du malaise, S. Cottet s’élève contre « les penchants scientistes de la psychanalyse contemporaine3« Les penchants scientistes de la psychanalyse contemporaine » (2005), ibid., pp. 241-266. », assénant haut et fort que « Quiconque liquide l’inconscient pour la biologie, au nom de la modernité, n’est simplement pas psychanalyste4« Introduction », ibid., p. 9. ». Contre ces penchants et les tentatives multiples de ringardiser5« L’image archaïque de la psychanalyse que veut donner la science moderne n’est qu’un faux nez », in« Introduction », ibid., p. 8. la psychanalyse, l’œuvre de Lacan constitue pour S. Cottet un « pare-feu6« L’œuvre de Lacan sert donc de pare-feu à une dérive psychiatrique comportementaliste qui inclut dans ses nomenclatures des poncifs médiatisés », in « Lacan et le crime » (2012), ibid., p. 226. ». Comme « sorte de laboratoire expérimental » mettant « à l’épreuve de la pratique une affinité supposée entre symptômes de la modernité et le dernier Lacan7« Le chemin des écoliers » (2009), ibid., p. 229. », on reviendra aujourd’hui avec grand intérêt aux conclusions qu’il tire de l’expérience du CPCT au moment même où son succès « a précipité une crise de fonctionnement, conduisant les collègues à élucider ses fondements », S. Cottet faisant « la part des choses en soulignant l’apport de cette innovation, la richesse de ce laboratoire clinique8Ibid. ».
Ce désir pour la psychanalyse et sa transmission n’est pas sans le désir de l’analyste, désir qui passe ici dans sa lecture clinique des cas que nous rencontrons dans la plupart de ces articles, que ce soient des cas de la littérature psychanalytique, ceux des cliniciens qu’il reçoit en contrôle, ou encore des cas de sa propre pratique de psychanalyste. Fidèle à la cause freudienne, S. Cottet expose lui-même le plus simplement du monde ce qui est au principe de sa pratique psychanalytique : « Au-delà des standards et des clichés cliniques, notre orientation se veut au plus près de la particularité du cas, de sa logique.9« Introduction », op. cit., p. 11. » Et c’est principalement à une clinique des nœuds qu’il nous initie, notant par exemple que « L’importance donnée au concept de suppléance, dans les psychoses aujourd’hui, traduit la tension qui existe entre une clinique du manque et une clinique du nœud10« L’hypothèse continuiste dans les psychoses » (1999), ibid., p. 159. ». Ou encore, relevant le fait qu’au CPCT s’expérimentait une « clinique du nouage explorant tous les recours que permettent les métaphores du nœud, du trou, de la coupure11« Le chemin des écoliers » (2009), ibid., p. 231. ». S. Cottet met en avant l’usage de RSI et la clinique borroméenne pour se repérer dans la clinique contemporaine.
Donnant toute sa place à la catégorie du réel, il isole l’impossible sous les espèces de la phrase manquante pourrait-on dire12En référence aux « Phrases marquantes », thème des dernières journées de l’ECF (J54, 16 et 17 novembre 2024)., voulant « montrer que l’inconscient n’est pas un secret enfermé dans une boîte noire, mais un fait de discours marqué par une faille, un trou, un impossible à dire13« Introduction », op. cit., pp. 9-10. ». On peut trouver trace de ces phrases manquantes, signe du non-rapport, dans un de ses commentaires du film d’Abdellatif Kechiche, L’Esquive. À propos d’un des personnages adolescents « transi d’amour » auquel « la langue de l’amour […] est inconnue, tout en sachant qu’elle existe dans l’Autre », S. Cottet indique qu’ici « Le tragique réside dans la certitude qu’a ce dernier d’être dépossédé du dire qu’il faut en la circonstance14« Le sexe faible des ados : sexe-machine ou mythologie du cœur ? » (2006), ibid., p. 122. ».
Avec cet ouvrage, tout comme celui de Michel Silvestre paru en 1987, Demain la psychanalyse15Sylvestre M., Demain la psychanalyse, Ed. Navarin, Paris 1987, réédition Champ freudien, Seuil, 1993., S. Cottet fait œuvre de salut public : il l’écrit dans l’introduction, sa « réflexion, dans une inspiration continue, veut contribuer à “l’éducation freudienne du peuple français” comme dit Jacques-Alain Miller, et non pas répéter “l’inconscient de papa”. La clinique freudienne est bien en prise sur le malaise de notre temps et en constitue la clé16« Introduction », ibid., p. 12. ».
- 1Cottet S., L’inconscient de papa et le nôtre. Contribution à la clinique lacanienne, éd. Michèle, coll. « Je est un autre », Paris, 2012.
- 2« Introduction », ibid., p. 10.
- 3« Les penchants scientistes de la psychanalyse contemporaine » (2005), ibid., pp. 241-266.
- 4« Introduction », ibid., p. 9.
- 5« L’image archaïque de la psychanalyse que veut donner la science moderne n’est qu’un faux nez », in« Introduction », ibid., p. 8.
- 6« L’œuvre de Lacan sert donc de pare-feu à une dérive psychiatrique comportementaliste qui inclut dans ses nomenclatures des poncifs médiatisés », in « Lacan et le crime » (2012), ibid., p. 226.
- 7« Le chemin des écoliers » (2009), ibid., p. 229.
- 8Ibid.
- 9« Introduction », op. cit., p. 11.
- 10« L’hypothèse continuiste dans les psychoses » (1999), ibid., p. 159.
- 11« Le chemin des écoliers » (2009), ibid., p. 231.
- 12En référence aux « Phrases marquantes », thème des dernières journées de l’ECF (J54, 16 et 17 novembre 2024).
- 13« Introduction », op. cit., pp. 9-10.
- 14« Le sexe faible des ados : sexe-machine ou mythologie du cœur ? » (2006), ibid., p. 122.
- 15Sylvestre M., Demain la psychanalyse, Ed. Navarin, Paris 1987, réédition Champ freudien, Seuil, 1993.
- 16« Introduction », ibid., p. 12.