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J50 - Attentat sexuel, Sublimations

La foudre

© AKOM
19/10/2020
Maria Novaes

1965. Une grande tempête s’approche d’une île au large de la Nouvelle Angleterre. Deux jeunes adolescents de douze ans, Sam Shakusky et Suzy Bishop, planifient et mettent en œuvre un plan de fugue, orchestré dans le plus grand secret lors d’un échange épistolaire. Wes Anderson, dans le très esthétique Moonrise Kingdom (2012), raconte le parcours de ces deux enfants en passe d’entrer dans l’adolescence, sur les traces de leur amour naissant et d’un ancien chemin sillonné autrefois par les Indiens de l’île jusqu’à une crique, élue par Sam comme territoire à atteindre, à 5,23 km sur la carte de l’île.

Sam, armé de ses connaissances de scout, vient de déserter du camp Ivanhoe, laissant derrière lui non seulement le petit (et hilarant) groupe Khaki, dont il se sent différent mais aussi sa famille d’accueil, qui ne souhaite plus l’accueillir. Orphelin, il y était placé, après avoir enchaîné plusieurs autres lieux d’accueil.

Un an avant, « l’enfant à problèmes » tombe amoureux de Suzy, pas heureuse non plus dans sa famille, unique dans son genre. Leur rencontre précédant un spectacle à l’école, crève l’écran. « Quelle sorte d’oiseau êtes-vous ? », demande-t-il à cette jeune fille déguisée en corbeau, qui respire le mal-être et qui boude tout le temps. L’interrogeant aussi sur sa main blessée, elle répond : « De la colère contre moi-même, un coup de poing contre une glace. » Ça fait mouche. Lors de l’échange de lettres durant les mois qui suivent, leur plan prend forme. « De loin, mon oiseau préféré », lui écrit-il.

La rencontre change la donne pour les deux jeunes, car comme le fait entendre Anaëlle Lebovits-Quenehen dans son texte d’orientation, une première fois fait évènement, et rien ne sera plus comme avant. La rencontre, de l’ordre de la contingence, de « ce qui aurait pu ne pas avoir lieu », fait muter l’impossible en occasion, malgré cette position subjective de non-appartenance et de mal-être qu’ils partagent.

L’éveil du printemps y joue sa partie et cet élan les propulse à marcher face à l’inconnu, sur fond d’allégories touchantes, pour dire les émois de la rencontre avec le sexuel, dans leur propre corps et avec le corps de l’Autre.
A l’arrivée à la crique à 5,23 km, leur danse traduit la rencontre qui s’achève… ou presque ! Car il s’agit bien d’un impossible dans la rencontre des corps1Cf. Lebovits-Quenehen A., « La première fois », texte en ligne, disponible ici. « Rien ne prescrit aux corps parlants la bonne façon de faire, car loin d’eux l’instinct qui indique aux animaux où, quand et comment se rencontrer. L’impossible est là qui fait le cœur des relations charnelles entre les corps parlants. ». Scène magnifiée par la chanson de Françoise Hardy, Le temps de l’amour, où toute la séquence transpire l’étrangeté éprouvée dans la première rencontre avec le sexuel. « Je risque de mouiller mon lit plus tard », réplique-t-il, de manière aussi délicieusement drôle que maladroite, traduisant ce qui relèverait de la première fois. Tout comme le bijou qu’il fabrique à partir d’un appât de pêche et d’un hameçon et qu’il lui offre en lui perçant l’oreille, ainsi que le french kiss qu’ils essayent d’apprivoiser avec le savoir dont ils disposent et leur corps en proie à cet éprouvé inédit.

C’est en partageant la lecture d’un des livres de Suzy, sa grande passion, que cette soirée se conclut, avec la métaphore de la lampe torche qui éclaire la nuit comme un lever de lune qui se dessine dans le sombre grenier de l’histoire racontée par elle.

L’échange épistolaire de deux jeunes ne tarde pas à être découvert par les parents de Suzy, qui débarquent illico dans la crique en les arrachant de la tente où ils dormaient le lendemain matin. La séparation voulue par les parents essaye de ramener les deux jeunes dans leur vie d’avant à nouveau, avec une Suzy déjà lucide sur les affres de la normalité de façade du couple que forment ses parents, qu’elle ne cesse de pointer, notamment à sa mère, qu’elle sait être la maîtresse du policier de l’île.

Sam, de son côté, se retrouve confié au « Service social », incarné par une femme à la rigidité stricte illustrée par l’uniforme aussi désuet que les règles qu’il représente.

Son groupe de scouts, après l’avoir détesté pour sa différence, finit par décider d’organiser une opération de « sauvetage » du jeune, qu’ils reconnaissent avoir malmené. Jusqu’à l’organisation d’un véritable et délirant mariage scout, officialisant dans ce monde d’enfants aux règles déclinées sur celles des grands, leur union.
C’est dans ce contexte turbulent que vient s’abattre la grande tempête, comme le tourbillon de la première rencontre avec le sexuel, introduisant un avant et un après2Ibid. Quand le franchissement tient au réel.. La foudre qui touche Sam en dit long. Sauf que la véritable foudre l’avait déjà touché : celle de la rencontre avec Suzy, celle pour laquelle il n’y avait pas d’abri. « Tu as encore un peu d’éclair en toi », lui dit Suzy lors de leur baiser électrique.

Pour les deux enfants, rien ne sera plus comme avant. Tout comme dans l’île, détruite après la tempête mais où les récoltes n’ont jamais été aussi abondantes après cet épisode. La crique du 5,23 km  n’existant plus que dans leurs souvenirs, est renommée par eux Moonrise kingdom, « le royaume du lever de lune ». Là où la lumière fut, avec la lampe torche du livre de Suzy le soir de la danse, où avant il n’y avait qu’obscurité.


  • 1
    Cf. Lebovits-Quenehen A., « La première fois », texte en ligne, disponible ici. « Rien ne prescrit aux corps parlants la bonne façon de faire, car loin d’eux l’instinct qui indique aux animaux où, quand et comment se rencontrer. L’impossible est là qui fait le cœur des relations charnelles entre les corps parlants. »
  • 2
    Ibid. Quand le franchissement tient au réel.