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Éditorial
Eclats de familles – Alice DelarueLes nouvelles idéologies de la famille
La famille, creuset de jouissance – Lilia Mahjoub
Qu’est‑ce qu’un enfant ? – Christiane Alberti
À propos de la famille post-moderne – Chiara Nicastri
Le malaise dans la famille et la clinique de l’anorexie – Domenico Cosenza
Chacune son tour – Valeria Sommer-Dupont
Le résidu et le père qui unie – Éric LaurentLa famille, lieu de lalangue
La fonction du résidu familial – Alexandre Stevens
Ce qui ne se familliarise pas -Marina Frangiadaki
Modernité, secret et malaise – Guy Briole
On ne parle pas de ça : les silences du dire – Ruzanna HakobyanEntretien avec Didier Lett
Tourner la page du roman familialRuptures et inventions
Rejet de la famille, génitif subjectif et objectif – Katty Langelez-Stevens
Un nom à soi – Virginie Leblanc-Roïc
Famille gender – Jérémie Wiest
Accueillir les inventions de l’enfant – Pepa Freiría
Migrations et déracinements de lalangue – Vilma CoccozEntretien avec Blandine Rinkel
Le sens de l’arrachementEnseignements de la clinique
Dire (que) non – Els Van Compernolle
Une famille malgré tout – Bruno de Halleux
Asphyxie – Anne Béraud
Les deux frères de la mère – Nathalie Crame
Une minute ! – Julia Virgós Pedreira
En suivant Dario, pas sans sa famille – Massimiliano Rielli
La recette – Camille GérardLectures
Un enfant à la prison du Temple – France Jaigu
L’écriture comme voie de sortie – Olivia Bellanco
La famille incorporée – Susana Brigoni
L’amour en famille – Françoise Denan
Regards et chuchotements – Pénélope Fay
Entre aristotélisme et objet a – Gleb Napreenko
La famille et la dot – Anna Pigkou
Derrière les paravents d’un non-dit familial – Bruno Alivon -
Editorial
Éclats de familles
La famille se décline au pluriel, tant on constate qu’il existe désormais une constellation de manières de la former : monoparentale, recomposée, homoparentale, adoptive, en co-parentalité sans couple amoureux, choisie entre amis… Mais en quoi ces nouvelles formes familiales témoignent-elles de quelque chose de vraiment nouveau, dans la perspective de l’expérience analytique ? C’est l’une des questions que nous avons mises au travail dans l’après-coup du congrès PIPOL 12, « Malaise dans la famille »1Congrès de l’EuroFédération de psychanalyse, qui s’est tenu à Bruxelles les 12 et 13 juillet 2025, sous la direction de Katty Langelez-Stevens., dont vous pourrez lire ici plusieurs contributions marquantes – aux côtés d’autres textes inédits.
Il existe effectivement de nouvelles idéologies de la famille, sous-tendues par des idéaux d’équité, de liberté, d’autodétermination. Ne manifestent-elles pas, finalement, la radicalisation d’idéologies déjà anciennes qui, comme Christiane Alberti le démontre dans ce numéro, atteignent leur point de rebroussement lorsqu’elles en viennent à promouvoir une égalité de statut entre adultes et enfants, déniant la fonction de la transmission 2Cf. Alberti C., « Qu’est-ce qu’un enfant ? », infra, p. 17-23. ?
Dès la fin des années 1960, alors que la mondialisation et la libéralisation des mœurs charriaient leur lot d’espérances, Lacan mettait en garde son auditoire en pointant l’échec des utopies communautaires qui prétendaient remplacer la famille 3Cf. Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.. Le mouvement du discours de la science avait déjà entraîné une remise en question de toutes les structures sociales, au premier rang desquelles l’ordre familial traditionnel, faisant accroire la possibilité d’un progrès : hors de l’ordre du Père, des organisations familiales alternatives pourraient émerger, au sein desquelles l’individu accéderait à davantage de liberté et d’autonomie. Or, Lacan annonçait que c’était bien plutôt la ségrégation qui resterait à l’ordre du jour 4Cf. Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres écrits, op. cit., p. 363..
Les utopies sociales ne peuvent en effet qu’échouer à faire disparaître la ségrégation, car le mode de jouissance de chaque sujet a un caractère de singularité indissoluble dans le lien social et en premier lieu dans le lien familial, qui en est une forme bien particulière 5Cf. Miller J.-A., « Vers les prochaines Journées de l’École », La Lettre mensuelle, no 247, avril 2006, p. 6.. C’est ce qui cause le malaise dans la famille qui, lui, n’a rien d’inédit. Ce qui est nouveau, c’est la forme que prend ce malaise quand dominent des idéaux égalitaristes et individualistes qui effacent l’incarnation du désir. Dès lors, « comment faire pour que des masses humaines, vouées au même espace, non pas seulement géographique, mais à l’occasion familial, demeurent séparées ? 6Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant », op. cit., p. 362-363. » Qu’est-ce qui, dans la famille – qu’elle se rêve néo ou qu’elle se veuille tradi –, pourrait soutenir la séparation des jouissances confuses 7Cf. Laurent É., « Le résidu et le père qui unie », infra, p. 44. ? L’expérience analytique nous enseigne que cela en passe par une certaine séparation du sujet d’avec son statut natif qui est d’être un « objet a de la constellation qui l’a mis au monde 8Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Du symptôme au fantasme et retour », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 25 mai 1983, inédit. ».
La famille, sous sa forme néo, s’illustre par un certain éclatement, voire par un rejet 9Cf. Langelez-Stevens K. « Rejet de la famille, génitif subjectif et objectif », infra, p. 91-93., mais elle n’a pas fini de jeter ses éclats. La famille perdure, car la transmission a un caractère irréductible 10Cf. Lacan J., « Note sur l’enfant », op. cit., p. 373. ; non pas, comme le souligne Jacques-Alain Miller, « la transmission d’un savoir, ni la transmission des besoins, mais une transmission constituante pour le sujet […] ici appelé à la singularité du “je” 11Miller J.-A., « Vers les prochaines Journées de l’École », op. cit., p. 6. ». En lisant les textes théoriques et cliniques de ce numéro, vous verrez combien la logification qu’a opérée Lacan sur la famille œdipienne, avec les concepts de fonction paternelle et maternelle, d’objet a et de symptôme, de savoir et de jouissance, de nomination ou encore de lalangue, permet de saisir la manière dont cette transmission opère, ou pas, au cas par cas, dans les familles.
Vous aurez enfin la chance de lire les deux interventions qui ont ponctué la plénière du congrès PIPOL 12. L’historien Didier Lett déplie comment l’invention théologique du limbe répond à un changement dans la nature du sentiment de l’enfance au sein des familles au Moyen Âge et témoigne d’un effort pour tourner la page du roman familial après la mort d’un enfant 12Cf. « Tourner la page du roman familial. L’enfant mort sans baptême à la fin du Moyen Âge », Entretien avec D. Lett, infra, p. 75-88.. À partir de son récit La Faille, l’écrivaine Blandine Rinkel déplie, quant à elle, comment la famille a été pour elle à la fois hantée par un fatalisme d’atmosphère, mais aussi le lieu de la transmission d’un très singulier « sens de l’arrachement 13« Le sens de l’arrachement », Entretien avec B. Rinkel, infra, p. 124. » prélevé chez son père.
Alice Delarue
- 1Congrès de l’EuroFédération de psychanalyse, qui s’est tenu à Bruxelles les 12 et 13 juillet 2025, sous la direction de Katty Langelez-Stevens.
- 2Cf. Alberti C., « Qu’est-ce qu’un enfant ? », infra, p. 17-23.
- 3Cf. Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.
- 4Cf. Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres écrits, op. cit., p. 363.
- 5Cf. Miller J.-A., « Vers les prochaines Journées de l’École », La Lettre mensuelle, no 247, avril 2006, p. 6.
- 6Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant », op. cit., p. 362-363.
- 7Cf. Laurent É., « Le résidu et le père qui unie », infra, p. 44.
- 8Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Du symptôme au fantasme et retour », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 25 mai 1983, inédit.
- 9Cf. Langelez-Stevens K. « Rejet de la famille, génitif subjectif et objectif », infra, p. 91-93.
- 10Cf. Lacan J., « Note sur l’enfant », op. cit., p. 373.
- 11Miller J.-A., « Vers les prochaines Journées de l’École », op. cit., p. 6.
- 12Cf. « Tourner la page du roman familial. L’enfant mort sans baptême à la fin du Moyen Âge », Entretien avec D. Lett, infra, p. 75-88.
- 13« Le sens de l’arrachement », Entretien avec B. Rinkel, infra, p. 124.