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Les bas-fonds

J.-A. Miller, C. Alberti, S. Marret-Maleval (dir.), Ornicar ?, n°55
Références
Ornicar ?, n°55
Les bas-fonds
J.-A. Miller, C. Alberti, S. Marret-Maleval (dir.)
Pages
208
Année
2021
prix
18 €
    • D’une époque sans nom, liminaireChristiane Alberti
    • Ce qui ne peut se dire – Jacques-Alain Miller
      L’amour du prochain – Jacques-Alain Miller
      L’horrible bête faite pour la nuit – Aurélie Pfauwadel
      L’usure « manifeste », métaphore de « l’infamie de fait » –  Giacomo Todeschini
      Topologie des marges – Julia Peker
      Lacenaire, a-temporel –  Francesca Biagi-Chai
      Bas-fonds avec spectateur : Londres, 1751-1891 –  Jean-Pierre Naugrette
      Une histoire baroque, par Borges –  Dominique Corpelet
      Boulgakov/Staline : lettres étranges –  Hervé Castanet
      L’Histoire comme voyage vertical –  Entretien avec Anne-Emmanuelle Demartini
      Les lumières de la ville –  Gérard Wajcman
      Le suçotement –  Samuel Lindner
      Suçotement et sexualité : de Lindner à Freud –  Niels Adjiman
      Pour un Retour à Baudelaire –  Virginie Leblanc
      Cy Twombly avec Roland Barthes –  Romain Aubé
      La menace est invisible –  Luc Garcia
      Sur un Dictionnaire Apollinaire –  Philippe Hellebois
  • « Les bas-fonds ». L’expression appelle d’emblée l’imaginaire qui les constitue : l’envers d’une société, sa part maudite réelle ou fantasmée. À l’époque de toutes les ségrégations, quel rapport entretenons-nous avec la part sombre, voire menaçante de l’humanité ? La psychanalyse propose de se déprendre de ce qui fascine dans la pauvreté, le crime, les misérables, etc., pour dénuder le statut de l’objet « rebut ». Ornicar ? 55 cherche à apprendre de la lumière des bas-fonds.

    Pourquoi « Les bas-fonds » ? Disons-le d’emblée, un tel titre a de quoi surprendre le lecteur d’Ornicar La topographie des profondeurs n’est pas de mise en psychanalyse dès lors qu’on se repère à la structure de langage et à la fonction de la parole. L’inconscient, en effet, n’habite pas le fond de l’âme, ne se confond pas avec le secret ou l’intime, mais s’attrape au contraire à la surface, au ras du discours, dans nos lapsus, nos symptômes, nos manières d’aimer et de jouir. Car il n’y a pas de métalangage, seulement le langage concret que parlent les gens, selon une expression de Lacan que j’affectionne.

    Que seraient les bas-fonds sans Les Misérables, qui en ont formé la représentation la plus aboutie ? Décrypter la fabrication d’un tel regard et construire l’histoire de cet imaginaire, c’est ce dont a fait œuvre le regretté Dominique Kalifa avec son livre incontournable, Les Bas-fonds. Gueux, mendiants, prostituées, criminels, aliénés, bagnards… à nous conter l’histoire de ces figures réelles ou fantasmées, il donne à entendre qu’elles n’ont jamais cessé de fasciner. C’est aussi un nom d’époque, celle de l’Europe bouleversée du XIXe siècle. Pour autant, les histoires, la vie des hommes dits « infâmes » ont-elles cessé de nous hanter ? Le contexte n’est plus celui des « mystères » de Paris, mais le débat sur les bas-fonds de notre société n’a pas cessé. Simple rémanence sous de nouveaux noms : SDF, invisibles, vies minuscules, etc. ?

    Plus la description de la misère humaine est pathétique, plus elle fait vibrer. Comment ne pas apercevoir aujourd’hui qu’il s’agit de regard, d’un regard qui se jouit ?

    Les invisibles, les sans-papiers, les sans-domicile-fixe ne sont pas équivalents au peuple des bas-fonds. Et les clichés sordides ou héroïques de l’univers gris des banlieues ne permettent pas davantage d’attraper de façon unitaire l’expérience des marges.

    Les bas-fonds d’aujourd’hui sont ceux de la dérision et du cynisme de la jouissance, quand le triomphe des objets a pulvérisé tous les semblants de la modernité.

    Les bas-fonds nous concernent. Ils disent qu’au fondement de la réalité sociale, il y a la prise du symbolique qui s’exerce jusqu’au plus intime de l’organisme humain.

    Christiane Alberti