PARUTIONS
REVUES

Gourmandise du surmoi

Collectif, Mental, n°50
Références
Mental, n°50
Gourmandise du surmoi
Collectif
Éditeur
Eurofédération de psychanalyse (EFP)
Pages
208
Année
2024
prix
19 €
Alice Delarue
  • Éditorial
    De l’interdit à l’impératif – Alice Delarue

    Orientation
    Clinique du surmoi – Jacques-Alain Miller

    Incidences et traitements
    Extraire un corps étranger ? – Adriana Campos
    La tyrannie de la beauté – Rosa María López
    L’hypomanie, une folie organisée – Roberto Cavasola
    L’impitoyable auto-évaluation – Abe Geldhof

    Mutations du surmoi
    De « la grosse voix » à la boussole – Philippe De Georges
    La nature humaine du père – Dominique Holvoet
    Du nouage par le social – Carolina Koretzky
    L’effet de suggestion – Katty Langelez-Stevens
    Massenpsychologie à l’ère des algorithmes – Camilo Ramírez

    Modulations cliniques
    Entre la voix et le regard – Philippe Dravers
    Senza pelle – Christelle Van den Eden
    Viser l’indicible – Marta Serra Frediani

    Sublimations
    L’impératif de l’acte créatif – Victoria Horne Reinoso
    Passion de l’ignorance – Claudia Iddan
    Engagés à lire et relire Lacan – Guy Briole

    Entretien avec Jean-Claude Caron
    L’éducation au XIXe : par la raison ou par la force ?

    L’éducation impossible
    Enfance sous prescription – Sébastien Ponnou
    Allègements et déplacements – Andrea Freiría
    Voies du surmoi et de l’idéal dans la filiation adoptive – Pasquale Indulgenza
    Adolescence et violence – Paola Bolgiani
    Le sujet en faute de jouissance – Philippe Lacadée
    Madame de Sévigné : injonctions de la mère, demandes insatiables d’une femme – Pénélope Fay
    La comtesse de Ségur, main de velours dans un gant de fer – Pascale Lartigau

    Lectures
    La passion de Lucien de Rubempré – Philippe Hellebois
    Ça promet ! – Anastasia Sotnikova Faraco,
    Un silence imposé – Lorenzo Speroni
    Amelia Rosselli, une vie suspendue – Céline Menghi

     

  • Editorial

    De l’interdit à l’impératif

    Le titre de ce numéro de Mental pourrait faire penser à un oxymore : lorsque Freud introduit le concept de surmoi au sein de sa seconde topique, il en fait une instance interdictrice, qui permettrait la régulation des pulsions. Cependant, il entrevoit déjà un au-delà de ces effets civilisateurs : le surmoi ne tourmente pas moins ceux qui obéissent à ses interdits, et il se révèle même d’autant plus sévère que l’on tente de se montrer vertueux 1Cf. Freud S., « Le moi et le ça », Essais de psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1983, p. 266‑270.. Cette bifidité du surmoi le mettra sur la voie de l’existence d’une compulsion de répétition qui s’exerce contre le sujet lui-même, et qu’il nommera pulsion de mort.
    Dans la conférence, inédite en français, qui ouvre ce numéro, Jacques-Alain Miller indique que le surmoi est le premier concept freudien qui retient Lacan, dans la mesure où sa propre recherche est « habitée par la division du sujet contre lui-même, c’est-à-dire par l’idée qu’il n’est pas logique de supposer que le sujet cherche son propre bien 2Cf. Miller J.-A., « Clinique du surmoi », dans ce numéro, p. 16. ». Lacan soulignera plus tard que la « gourmandise dont [Freud] dénote le surmoi est structurale, non pas effet de la civilisation, mais “malaise (symptôme) dans la civilisation” 3 Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 530. ». Disons que les formes sous lesquelles le surmoi se présente varient en fonction des discours dominants, mais que sa voracité, qui est consubstantielle à l’être parlant, persiste et signe l’irréductible du malaise dans la civilisation.
    L’éducation est un champ privilégié pour saisir les mutations du surmoi et, dans l’entretien qu’il a accordé à Mental, l’historien Jean‑Claude Caron décrit un xixe siècle traversé par d’intenses débats sur la manière d’obtenir l’obéissance des citoyens en devenir, tandis que montent les peurs face aux « adolescents criminels ». Ces réflexions offrent une nouvelle perspective quant aux différentes prescriptions auxquelles ont affaire de nos jours les enfants, adolescents, parents et enseignants.
    Nous sommes passés, entre le xixe et le xxie siècle, d’un régime d’interdiction de la jouissance à un autre où il est interdit d’interdire – régime qui se révèle désormais comme étant celui de l’impératif de jouissance. Or Lacan a démontré que cette injonction surmoïque est tout autant impossible à satisfaire : le sujet butera toujours sur un manque-à-jouir 4Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre vii, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.‑A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 208.. Cette bascule entre l’interdiction et la prescription n’est pas sans modifier les formes que revêtent les inhibitions, symptômes et angoisses contemporaines, qui portent désormais la marque de l’excès plutôt que celle du manque. Les discours actuels, charriant leur lot d’injonctions à la consommation, à la réussite, à la beauté, à l’autodétermination, alimentent la gourmandise du surmoi et laissent le sujet aux prises avec l’impossible à jouir. Derrière cette liberté apparente, on voit poindre un nouvel « ordre de fer 5Cf. Koretzky C., « Du nouage par le social », dans ce numéro, p. 69‑72. », gouverné par des mots d’ordre souvent porteurs de haine et qui, avec les réseaux, disposent désormais « d’une agora à la topologie inouïe : délocalisée, bordée par rien, illimitée 6Ramírez C., « Massenpsychologie à l’ère des algorithmes », dans ce numéro, p. 80. ».
    Mais, en deçà de ces changements de discours, ce qui ne se modifie pas et que le surmoi révèle, c’est que l’être parlant est dès l’origine soumis à la contrainte du signifiant tout seul, insensé, et donc porteur d’une jouissance pure 7Cf. Miller J.-A., « Clinique du surmoi », op. cit., p. 21.. On peut dès lors considérer, comme le souligne Adriana Campos, que « le surmoi est l’incorporation, à notre insu, d’un corps étranger, d’une énonciation qui vient d’ailleurs et qui reste à la fois enkystée et agissante 8Campos A., « Extraire un corps étranger ? », dans ce numéro, p. 30. ». La clinique nous enseigne que ces trognons de paroles surmoïques sont particulièrement intriqués dans l’objet voix et dans l’objet regard9Cf. Langelez-Stevens K., « L’effet de suggestion », dans ce numéro, p. 74.  . L’expérience analytique, si elle est portée par une éthique qui tient compte de la gourmandise du surmoi, peut permettre d’isoler ces signifiants insensés et de tempérer la jouissance qu’ils sécrètent, au profit du désir.

    Alice Delarue

     

  • 1
    Cf. Freud S., « Le moi et le ça », Essais de psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1983, p. 266‑270.
  • 2
    Cf. Miller J.-A., « Clinique du surmoi », dans ce numéro, p. 16.
  • 3
    Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 530.
  • 4
    Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre vii, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.‑A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 208.
  • 5
    Cf. Koretzky C., « Du nouage par le social », dans ce numéro, p. 69‑72.
  • 6
    Ramírez C., « Massenpsychologie à l’ère des algorithmes », dans ce numéro, p. 80.
  • 7
    Cf. Miller J.-A., « Clinique du surmoi », op. cit., p. 21.
  • 8
    Campos A., « Extraire un corps étranger ? », dans ce numéro, p. 30.
  • 9
    Cf. Langelez-Stevens K., « L’effet de suggestion », dans ce numéro, p. 74.