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Faut le temps

Collectif, La Cause du désir, n°115
Références
La Cause du désir, n°115
Faut le temps
Collectif
Éditeur
Navarin éditeur
Pages
168
Année
2023
prix
16 €
Laura Sokolowsky
  • ÉDITORIAL
    La patience et la mesure – Laura Sokolowsky

    POLITIQUE JEUNESSE
    2002 en 2023 – Réponses au Caldero – Jacques-Alain Miller

    FAUT LE TEMPS
    Le temps – François Regnault
    Le temps logique et l’inconscient comme trou – Karim Bordeau
    Le temps des autistes – Katty Langelez-Stevens
    Le temps suspendu d’une hallucination – Christine Maugin
    Le temps dans un cas d’anorexie transitoire – Ricardo Seldes

    L’ORIENTATION LACANIENNE
    Explication de l’École à des jeunes de Buenos Aires – Jacques-Alain Miller

    DES SYLPHES AUX CIMES
    Relativement vôtre – Luc Garcia

    EXPOSÉS ET CONTRÔLES CLINIQUES avec Jacques-Alain Miller
    Un rythme pour la vie – Sarah Birgani
    Un enfant est malade – Dossia Avdelidi

    SUR LA PASSE
    « Un petit tour du côté de chez rien » – Dominique Jammet

    SINGULARITÉS
    La jeune fille et la mort – Hélène Bonnaud
    Une fausse couche – Pierre Sidon
    « Je suis trop aimé » – María Paz Rodríguez Dieguez
    Au fil du circuit – Camille Schuffenecker

    POÉTIQUE
    Le temps des épiphanies. À partir d’un cas d’épiphanie chez une femme – Marie-Hélène Brousse

    EPISTÈMÈ
    Coalescence et énigme du corps parlant – Guillaume Libert

    ERRE DU DÉLIRE
    Complotisme – Jacques-Alain Miller
    « Parler est un trouble du langage » – Pascale Fari
    Le délire de persécution – Jérôme Lecaux

  • Ce numéro présente la récente doctrine de l’École transmise par Jacques-Alain Miller à de jeunes psychanalystes et ses réponses relatives à la politique jeunesse au sein des Écoles de l’Association mondiale de psychanalyse (AMP)

    On lira aussi les commentaires de J.-A. Miller de textes cliniques exposés lors du dernier congrès de la New Lacanian School (NLS).

    Diverses études portent sur la notion de temps physique, logique et psychanalytique, le phénomène énigmatique de l’épiphanie ainsi que la notion lacanienne de coalescence.

    Par ailleurs, l’actualité de la clinique analytique met en valeur le célèbre énoncé de Jacques Lacan selon lequel « faut le temps ».

    Un texte inédit de J.-A. Miller élucide la folie complotiste contemporaine.

    Enfin, deux contributions majeures sur la parole comme trouble du langage et sur le délire de persécution préparent au prochain congrès de l’AMP sur le thème « Tout le monde est fou » qui se tiendra en février 2024.

  • La patience et la mesure

    Ce numéro de La Cause du désir s’ouvre sur les réponses de Jacques-Alain Miller concernant un moment inédit d’ouverture : celui d’une nouvelle politique jeunesse dans les Écoles de l’Association mondiale de psychanalyse (AMP). Le temps qu’il faut est celui du pari sur l’avenir, sans regret ni nostalgie. Il s’agit du désir que la psychanalyse d’orientation lacanienne s’inscrive dans la durée comme discours répondant au malaise dans la civilisation. Le passé est un prologue, ainsi que l’écrivit le Barde immortel 1Cf. Shakespeare W., La Tempête, acte II, sc. 1, disponible sur internet. .

    En 1974, Lacan soutient que l’interprétation analytique tend « à effacer le sens des choses dont souffre le sujet 2Lacan J., « Entretien au magazine Panorama », La Cause du désir, n° 88, mars 2014, p. 168.». Pour accomplir l’acte de parole interprétatif, l’analyste doit avoir beaucoup de pratique et une patience infinie. À cet égard, « la patience et la mesure sont les instruments de la psychanalyse 3Ibid.».

    Le mot « patience » provient du latin patientia qui signifie l’action de supporter, le fait d’endurer. Dans l’Antiquité, la patience n’est pas un trait de caractère, mais la qualité éminente du sage. La langue grecque utilise deux termes pour signifier la patience : hypomoné et anexikakia. La première est la persévérance face aux vicissitudes de l’existence, aux malheurs, aux maladies. La seconde est l’endurance vis-à-vis des mauvais comportements d’autrui, la maîtrise de sa propre colère et du désir de vengeance 4Cf. Barone F. P., « Le vocabulaire de la patience chez Jean Chrysostome : les mots ἀνεξικακία et ὑπομονή », Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes, t. LXXXI, 2007/1, p. 5-12. . L’hypomoné se rapporte à l’adversité, au destin sans visage, tandis que l’anexikakia est la retenue de ceux qui ne rendent pas le mal pour le mal. Le rapport à l’autre n’est pas le même dans les deux cas.

    La patience antique est la vertu du sage. On rapporte que Socrate exerçait son corps à la patience en se tenant debout et sans bouger durant un jour entier ainsi que la nuit qui suivait5Cf. Allu-Gelle, Les Nuits attiques, disponible sur internet. . Il endurait avec patience les récriminations continuelles de sa femme pour s’entraîner à supporter les injures à l’extérieur de son logis6Cf. ibid.. Le stoïcisme valorisa la constance du sage7Cf. Sénèque le Jeune, De la constance du sage. Ou que le sage n’est pas atteint par l’injure, disponible sur internet. , mais ce fut Tertullien, vers l’an 200, qui rédigea le premier traité chrétien sur la patience : « Elle est l’ornement de la femme et l’épreuve de l’homme ; on l’aime dans l’enfant ; on l’estime dans le jeune homme ; on l’honore dans le vieillard : elle est belle dans tous les sexes et à tous les âges8Tertullien, De la patience, XV, disponible sur internet. ». La patience est l’élève de Dieu, la compagne du Saint-Esprit, l’instrument du combat contre le démon. Quoiqu’il en soit, la patience se rapporte à l’au-delà du narcissisme, lorsque le sujet n’est pas identifié au moi.

    L’infinie patience que Lacan recommande au psychanalyste l’incite-t-elle à supporter tous les maux de la terre, tel le chameau de Zarathoustra ? Lacan ne recule pas à poser la question d’une proximité entre les positions analytique et masochiste. Pour autant, en faisant semblant d’objet a pour l’analysant, le psychanalyste renonce à la jouissance de souffrir pour arracher la guérison à tout prix. Freud avait une autre façon de le dire : « On peut obtenir plus pendant la cure, mais alors il faut se tailler des lanières dans sa propre peau9Cité dans « Max Eitingon : Des premiers temps de la psychanalyse (1937) », in Freud S., Eitingon M., Correspondance 1906-1939, Paris, Hachette, 2009, p. 877. ». La patience infinie n’est pas l’idéal du psychanalyste, mais la position propice à l’acte de parole interprétative qui prive le symptôme de sens, qui montre que le symptôme « n’a aucun rapport avec rien10Lacan J., « Entretien au magazine Panorama », op. cit., p. 168.».

    Ce numéro 115 de La Cause du désir propose à ses lecteurs la traduction française d’une conversation récente de J.-A. Miller avec nos collègues argentins où celui-ci livre un éclairage capital concernant la doctrine de l’École. La patience s’y révèle comme la vertu majeure du psychanalyste.

    On s’enseignera en lisant attentivement la formidable séquence clinique issue du dernier congrès de la New Lacanian School (NLS) avec les commentaires de J.-A. Miller.

    On découvrira cinq études sur le célèbre temps logique lacanien, la constance de la satisfaction symptomatique, l’abîme temporel de l’hallucination, la topologie pulsionnelle déroutant l’immuable répétition, les conceptions scientifiques du temps envisagées et discutées par Lacan. Aussi, une explicitation des notions physiques auxquelles Lacan se réfère en 1970 dans « Radiophonie ». Sans oublier la soudaine manifestation de l’épiphanie chère à Joyce et dont certains parlêtres témoignent.

    Le dernier témoignage d’un Analyste de l’École, lequel est à la fois le point de capiton de deux années d’enseignement et l’horizon d’un transfert de travail décidé à celle-ci, trouve place dans ce numéro consacré au temps.

    Les textes cliniques publiés, à travers leur diversité, mettent en valeur la dimension temporelle du sujet supposé savoir, son effacement ou sa chute plus ou moins progressive.

    Une recherche sur la notion de coalescence met en valeur les étapes progressives ayant conduit Lacan à conceptualiser le lien entre parole et jouissance.

  • 1
    Cf. Shakespeare W., La Tempête, acte II, sc. 1, disponible sur internet.
  • 2
    Lacan J., « Entretien au magazine Panorama », La Cause du désir, n° 88, mars 2014, p. 168.
  • 3
    Ibid.
  • 4
    Cf. Barone F. P., « Le vocabulaire de la patience chez Jean Chrysostome : les mots ἀνεξικακία et ὑπομονή », Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes, t. LXXXI, 2007/1, p. 5-12.
  • 5
    Cf. Allu-Gelle, Les Nuits attiques, disponible sur internet.
  • 6
    Cf. ibid.
  • 7
    Cf. Sénèque le Jeune, De la constance du sage. Ou que le sage n’est pas atteint par l’injure, disponible sur internet.
  • 8
    Tertullien, De la patience, XV, disponible sur internet.
  • 9
    Cité dans « Max Eitingon : Des premiers temps de la psychanalyse (1937) », in Freud S., Eitingon M., Correspondance 1906-1939, Paris, Hachette, 2009, p. 877.
  • 10
    Lacan J., « Entretien au magazine Panorama », op. cit., p. 168.