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Quand tout s’effondre et que le corps se défait, où trouver ancrage ? Comment contrer la dérive, quand le symbolique n’ordonne plus notre monde ? Un psychanalyste présente quatre cas – plus un, célèbre, celui d’Antonin Artaud.
Il démontre en quoi s’orienter du dernier enseignement de Lacan a des effets radicaux pour la clinique, spécialement appliquée aux psychoses. L’interprétation freudienne visait la vérité ; l’orientation par le réel vise la jouissance qui trouve son lieu d’écriture dans le corps. Aujourd’hui, la pratique analytique a nouvelle boussole.
Dans l’expérience d’une psychanalyse, se tisse un nouage du réel, du symbolique et de l’imaginaire où se puise matière à inventer. Quand le réel cogne, loin des solutions supposées valoir pour tous, les inventions, ainsi élaborées et soutenues sous transfert, sont des réponses inédites et singulières pour tenir dans la vie.
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Dominique Corpelet consacre un article à l’ouvrage dans Lacan Quotidien n°787 du 24 septembre 2018. À lire ici.
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« Freud emploie le mot d’attentat pour nommer la violence et la déflagration de ce qui vient s’inscrire dans le corps du sujet confronté à l’irruption du sexuel comme rencontre traumatique1Dupont L., « Attentat sexuel. Part. 1 », disponible ici.». Violence et déflagration dans le corps sont précisément ce dont rend compte Hervé Castanet dans Quand le corps se défait. L’auteur a sous-titré son ouvrage « moments dans les psychoses », nous invitant à suivre ces épisodes de déflagration dans le corps pour le sujet psychotique et s’attache à nous présenter comment l’analyste peut l’accompagner. « Pourquoi un tel livre aujourd’hui ? » demande l’auteur qui nous livre cette réponse : « Assurément pour casser quelques stéréotypes sur ce que fait – ou ne fait pas – un psychanalyste avec des analysants psychotiques2Castanet H., Quand le corps se défait, Paris, Navarin, 2017, p. 7.». Guidé par cette attention portée aux psychoses, Hervé Castanet entend prendre appui sur l’orientation donnée par le dernier enseignement de Lacan (durant la période de 1970 à 1981) pour renouveler la clinique psychanalytique. « La psychanalyse change. La conduite des cures évolue3Ibid., p. 7.».
Le binaire vérité / jouissance constitue une des boussoles de ce chemin proposé par l’ouvrage qui explore cette voie ouverte par Lacan, explicitée dans son Ouverture à la section clinique, dont H. Castanet extrait la citation suivante : « Quand on analyse l’inconscient, le sens de l’interprétation, c’est la vérité. Quand on analyse le parlêtre, le corps parlant, le sens de l’interprétation, c’est la jouissance. Ce déplacement de la vérité à la jouissance donne la mesure de ce que devient la pratique analytique à l’ère du parlêtre4Lacan J., « Ouverture à la section clinique », cité par Castanet H., Quand le corps se défait, op. cit., p. 8.». Par sa manière d’aborder la clinique des psychoses, l’ouvrage nous permet un repérage clair des trois registres du corps : « Le corps imaginaire est livré au miroir comme unité, image, forme. Le corps symbolique est pris dans les signifiants qui le nomment et lui donnent une identité : tu es un garçon, une fille, etc. Le corps symbolisé est blason, armoiries. Le corps réel, lui, est corps vivant affecté de jouissance5Castanet H., Quand le corps se défait, op. cit., p. 24.». L’accent porté à ce réel du corps entraîne une nouvelle définition du symptôme : « il n’est plus “un avènement de signification”6Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, n°44, février 2000, p. 25. cachée, cryptée, à interpréter comme formation de l’inconscient, mais un “événement de corps”7Castanet H., Quand le corps se défait, op. cit., p. 24.». Evénement clarifié en ces termes : « événements de discours qui ont laissé des traces dans le corps. Et ces traces dérangent le corps8Miller, J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », op. cit., p. 44 et 43 cité par Castanet H., Quand le corps se défait, op. cit., p. 25.».
Événement qui, dans le chapitre « Pascale – nerfs élastiques tendus à bloc », peut prendre la forme d’un “attentat sexuel”9Castanet H., Quand le corps se défait, op. cit., p. 148. selon les mots de cette analysante venue rencontrer l’analyste pendant dix ans. Ce sujet présente sa vie comme une torture alors qu’elle subit les obsessions de scènes sexuelles pornographiques, et qu’elle se trouve aux prises avec une vie de couple scellée par des liens brutaux et « une sexualité hard10Ibid., p. 116.». Face à cette effraction du réel sexuel, l’analyse fait bord par un dispositif en trois temps et selon des modalités ajustées : la séance au cabinet puis un appel journalier et des centaines de documents écrits adressés à l’analyste à propos desquels la patiente peut dire : « je trouve un chemin qui me structure11Ibid., p. 120.». Les constructions en analyse autour de cet attentat permettront un décalage dans les relations avec les hommes : « je ne fonce plus tête baissée jusqu’à me défoncer la tête12Ibid., p. 152.», affirme Pascale. En soutenant l’acte d’écriture, l’analyste se fait partenaire d’une fiction opérant une réduction de l’impact du souvenir traumatique. « la scène de l’agression sexuelle dans l’enfance perdit de sa prégnance jusqu’à se perdre dans la brume13Ibid., p.182.».
Parlêtre, corporisation, événement de corps, invention sinthomatique, clinique borroméenne, autant de concepts auxquels l’ouvrage donne accès en dépliant avec clarté et précision les cas cliniques présentés. Pour chacun d’eux, faisant « l’épreuve de déréliction du corps parlant défait, avec son cortège de douleurs souvent insupportables14Ibid., p. 27.», il s’agit, soutenu par la rencontre avec un analyste, de prendre appui sur ce qui peut faire construction. Sur ce point, ces sujets souffrants nous enseignent. « Ils sont bien plus rigoureux que les névrosés qui optent, eux, pour l’affirmation : j’ai mon corps ; mon corps est à moi. Dans les bricolages qu’ils construisent, ces analysants et le poète rappellent au psychanalyste que ce corps qui “fout le camp à tout instant” est l’épreuve qu’aucun parlêtre ne peut éviter15Ibid.». Ce dernier nous invite à suivre le détail de ces inventions subjectives et rend sensible le tact de l’analyste, attentif à se faire partenaire du plus singulier chez chacun. La machine d’Éric, les poèmes de Noëlle, les lettres de Pascale, les dessins d’Artaud sont exposés comme inventions sinthomatiques, « bricolages, […] manières de s’y prendre, […] usages pragmatiques trouvés au un par un et permettant de tenir dans la vie16Ibid., p. 183.».
- 1Dupont L., « Attentat sexuel. Part. 1 », disponible ici.
- 2Castanet H., Quand le corps se défait, Paris, Navarin, 2017, p. 7.
- 3Ibid., p. 7.
- 4Lacan J., « Ouverture à la section clinique », cité par Castanet H., Quand le corps se défait, op. cit., p. 8.
- 5Castanet H., Quand le corps se défait, op. cit., p. 24.
- 6Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, n°44, février 2000, p. 25.
- 7Castanet H., Quand le corps se défait, op. cit., p. 24.
- 8Miller, J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », op. cit., p. 44 et 43 cité par Castanet H., Quand le corps se défait, op. cit., p. 25.
- 9Castanet H., Quand le corps se défait, op. cit., p. 148.
- 10Ibid., p. 116.
- 11Ibid., p. 120.
- 12Ibid., p. 152.
- 13Ibid., p.182.
- 14Ibid., p. 27.
- 15Ibid.
- 16Ibid., p. 183.