-
« Jour de Grève », un texte inédit de Jacques Lacan.
Suivi des contributions de :
Virginio Baio, Juliette Lauwers, Bruno de Halleux, Guy de Villers, Christophe Delcourt, Helène Deltombe, Jean-Louis Gault, Bernard Lecœur, Katty Langelez, Valérie Lorette, Laure Naveau, Daniel Pasqualin, Philippe De Georges, Dominique Holvoet, Laura Petrosino, Colette Richard, Pierre Sidon, Pascale Simonet, Philippe Stasse, Alexandre Stevens, Alfredo Zenoni. -
Il y a quarante ans, Lacan nous quittait. Il nous laisse un héritage dont nous n’avons pas fait le tour.
Ce volume s’ouvre sur la leçon inaugurale de l’année 1974-1975 de son Séminaire inédit, « R.S.I. ». En filigrane de ce texte, une question s’y lit, celle du désir de Lacan, d’un Lacan d’une grande actualité. Ce qu’il enseignait hier dans son séminaire surgit aujourd’hui dans nos sociétés : la chute du père, la poussée du religieux, la montée du racisme, les identités transgenres… Sa quête incessante du réel ne nous laisse nullement en paix. Du symptôme déplié par Freud, il arrive au sinthome, au plus réel de ce qui fait le parlêtre.
De Freud, Lacan disait qu’il était un homme de désir, d’un désir qu’il a suivi contre son gré mais sur lequel il n’a pas cédé.
Et le désir de Lacan ?
Vingt et une personnes, analystes ou pas, nous en donnent ici leur version.
« Jour de Grève », un texte inédit de Jacques Lacan.
Suivi des contributions de : Virginio Baio, Juliette Lauwers, Bruno de Halleux, Guy de Villers, Christophe Delcourt, Helène Deltombe, Jean-Louis Gault, Bernard Lecœur, Katty Langelez, Valérie Lorette, Laure Naveau, Daniel Pasqualin, Philippe De Georges, Dominique Holvoet, Laura Petrosino, Colette Richard, Pierre Sidon, Pascale Simonet, Philippe Stasse, Alexandre Stevens, Alfredo Zenoni.Préface
par Bruno de Halleux
Au moment où je bouclais le centième numéro de Quarto qui célébrait le trentième anniversaire de la mort de Lacan, je demandais à Jacques-Alain Miller un texte inédit de celui-ci.
À ma plus grande surprise, il m’envoya la première leçon d’un Séminaire inédit, « R.S.I ». Son titre, « Jour de grève ».
Je lus le texte, je le relus…
Que signifiait ce choix ? Pourquoi ce court texte sur la grève – saisie par Lacan comme un symptôme –, sur la question de savoir si un analyste peut se comporter comme un imbécile et sur les non-dupes ? Je restais perplexe.
J’avais invité quelques collègues, jeunes et moins jeunes à écrire quelques lignes sur le désir de Lacan.
La formule – le désir de Lacan – est équivoque. Est-ce à dire, le désir qui habite Lacan ? Ou le désir que ses élèves lui portent ? L’un et l’autre sont énigmatiques.
Aujourd’hui, au moment de la publication de ce livre dans les nouvelles Presses Psychanalytiques de Paris, je me suis demandé si ce texte, « Jour de grève », ne vient pas interpréter le Che vuoi de Lacan.
Plusieurs pistes s’y déploient.
Une première, celle du non-dupe qui se situe à l’envers de l’éthique de la psychanalyse telle que Lacan l’a enseignée au début des années soixante. Le non-dupe se trouve en passe d’errer à ne pas jouer le jeu d’un discours.
Une deuxième rapproche le non-dupe de l’imbécile. Lacan nous rappelle que si l’analyse est un remède contre l’ignorance, elle est sans effet contre la connerie. Et il se pose la question de savoir si un analyste peut se comporter comme un imbécile !
Avant de déplier la troisième et dernière piste, je vous livre ce que j’aperçois entre les lignes de ce texte. Il s’agit d’une question centrale pour ses élèves.
Lacan désirait une École qui ne soit pas engluée dans les lourdeurs de la bureaucratie, du bien-être, de la massification, de l’effet de colle propre à tout groupe.
L’École voulue par Lacan me paraît devoir répondre au trou, au vide qui la centre. Elle est affine au S(⒜), au signifiant du manque dans l’Autre.
C’est la raison pour laquelle, Lacan annonce dans cette leçon d’ouverture de l’année 1974-1975 qu’il aspire à une « École où il s’agit, en somme, que chacun apporte sa pierre au discours analytique en témoignant de comment on y entre1« . Il rappelle alors que la procédure de la passe en est une modalité.
Lacan se demande si l’analyste peut être considéré comme un élément. Il l’interroge par le bout de l’identité de soi à soi. S’il est un élément, alors, peut-il faire ensemble ?
La question est cruciale, car l’École telle qu’il la désirait est un pari jamais gagné une fois pour toutes. Lacan voulait une École réveillée, composée de Uns non identifiés l’un à l’autre, réunissant des épars, des singuliers, des extraordinaires, des excentriques, des insolites, des extravagants, des rares, des drôles, des a-normaux…
Alors le désir de Lacan ! Où se loge-t-il ?
Ce sera ma troisième piste. Un indice nous est donné au début du texte.
« J’arriverai peut-être cette année, nous dit Lacan, à vous en convaincre, – le symptôme c’est du réel pour se référer à une de mes trois catégories.2 »
Tout son dernier enseignement s’indexe de la catégorie du réel. N’est-ce pas là que s’origine sa faculté d’anticiper les grands phénomènes de la société ?
Ainsi, quarante ans après sa mort, nous sommes surpris par sa préscience extraordinaire de ce qui se développe aujourd’hui dans nos sociétés contemporaines. Citons, entre autres, la disparition du règne du père annoncée déjà dans « Les complexes familiaux », et la montée du racisme dès les années soixante. Ou encore le mouvement transgenre qui ne cesse de prendre de l’ampleur aujourd’hui. Il l’avait anticipé en démontrant que ni l’homme, ni la femme ne naissent au départ identifié à leur sexe !
« Lacan croyait au réel, au point de déclarer un jour que c’était là son symptôme. Il en souffrait sans doute et lui sacrifiait tout. […] Au regard de ce réel sans visage et ‘sans loi’, la science elle-même lui paraissait futile. Quant à la psychanalyse, elle n’était pour lui que la meilleure façon de s’en arranger.3 »
Le désir de Lacan, jamais ne pourra être mis à nu complètement ! Ce désir, il nous fait courir, il nous met au travail, il ne cesse de nous réveiller, il nous intranquillise, il nous décharite…
Ce désir, si fort, n’est-il pas cause de notre amour pour Lacan ?
B. de H.
1. Lacan J., « Jour de Grève », première leçon du Séminaire « R.S.I. », dans ce volume, p. 7.
2. Ibid.
3. Miller J.-A., Un début dans la vie, Paris, Gallimard, Le promeneur, 2002, p. IX. -
L’impact du désir de Lacan
Paru aux Presses Psychanalytiques de Paris, ce livre est un des événements de la rentrée pour le 40e anniversaire de la mort de Jacques Lacan. D’emblée son titre, Le désir de Lacan, nous plonge dans l’équivoque : de quel désir s’agit-il ? Bruno de Halleux, directeur de cette publication, s’interroge : « Est-ce le désir qui habite Lacan ? Où le désir que ses élèves lui portent.1De Halleux B. (s/dir.), Le désir de Lacan, Paris, Presses Psychanalytiques de Paris, septembre 2021, p. 3.» Les deux sont bien énigmatiques !
Vingt-et-un sujets – psychanalystes ou non – transmettent ici l’effet du désir de Lacan sur eux et qui a fait trace. Ce livre débute par la première séance du Séminaire « R.S.I » intitulée « Jour de grève2Ibid., p. 6-9.». Ce texte, établi par Jacques-Alain Miller, met l’accent en filigrane sur le désir de Lacan et la puissance du discours psychanalytique.
Si Virginio Baio n’a jamais rencontré Lacan, il témoigne qu’il a rencontré son désir : « en faisant la passe, je voulais le suivre, suivre son désir3Ibid., p. 12.». Plusieurs analystes font part de leur rencontre avec la psychose dans leur pratique institutionnelle et combien, face à l’horreur, au réel, ils se sont tournés « vers Lacan qui ne fait pas la charité ». Le psychanalyste ne veut pas le bien du patient qui est voué à l’échec. Il vise le bien-dire, un mot juste, un mot qui peut permettre de cerner la jouissance en jeu ou bien défaire une identification. V. Baio met aussi l’accent sur l’importance de préserver une place vide, « ce non su, ce savoir troué qui peut faire cadre4Ibid., p. 13. » avec l’analyse pour débusquer son savoir et le programme de jouissance articulé à son fantasme. Christophe Delcourt quant à lui, souligne le cristal du Séminaire Les psychoses « qui a rendu possible le remarquable développement du traitement psychanalytique des sujets psychotiques » avec le style de la marque du désir de Lacan « auquel il nous invite à ne pas nous identifier5Ibid., p. 23.».
Alexandre Stevens attire notre attention sur le fait qu’au-delà de la lecture des textes théoriques, c’est « un désir en acte » que Lacan a transmis. Il ajoute que ce qui a fait rencontre pour lui en assistant à son séminaire, « c’est l’extraordinaire présence de la personne de Lacan […] Le corps de Lacan en train de parler » et sa voix : « En l’entendant, au moment de l’entendre pendant son séminaire, je comprenais ce qu’il disait. Mais en relisant ensuite mes notes cela me paraissait évidemment bien plus difficile à saisir.6Ibid., p. 59.» Daniel Pasqualin indique que sa première rencontre avec Lacan fut « houleuse » lors de sa lecture du Séminaire Encore. Entre fureur et rage de ne rien comprendre, cela lui parlait.
Chacun témoigne dans ce livre de sa rencontre avec le désir de Lacan, combien il s’agit d’une langue qui ne laisse pas indifférente, une langue vivante « en constante évolution avec les réalités du terrain de la psychanalyse pure et de la psychanalyse appliquée aux institutions de soins7Ibid., p. 33.».
À l’heure du « tout neuro » qui vise à normer les pratiques de manière autoritaire, ce livre est une bouffée d’oxygène et amène incontestablement le lecteur à se demander quelle fut sa première rencontre avec Lacan, une rencontre qui dure Encore !
- 1De Halleux B. (s/dir.), Le désir de Lacan, Paris, Presses Psychanalytiques de Paris, septembre 2021, p. 3.
- 2Ibid., p. 6-9.
- 3Ibid., p. 12.
- 4Ibid., p. 13.
- 5Ibid., p. 23.
- 6Ibid., p. 59.
- 7Ibid., p. 33.