Cartello, 46

Saisir l’acte psychanalytique… de l’intérieur

© photo: Ulysse Barry
02/10/2025
Gabrielle Ombrouck

Éclairer l’acte psychanalytique — dont dépend la définition de l’analyste — impose d’en cerner les contours. Or, plus on s’en approche, plus la pensée s’embarrasse et le sens glisse. Lacan interroge alors : « Peut-il y avoir chez moi un autre dessein que de saisir lacte psychanalytique du dehors ? Oui 1». Et d’ajouter : « Cest bien là le grave de ce discours, que ce nest point pensée sur lacte, cest discours qui sinstitue à lintérieur de lacte 2». Véritable renversement topologique qui éclaire larticulation de lacte et du discours analytique.

Discours du professeur / discours analytique

Nous voilà avertis, le Séminaire XV ne relève pas dun discours sur lacte, ce qui tient, énonce Lacan, à la différence « entre [sa] position dans ce discours et celle du professeur 3». Son enseignement nest pas un cours. Et il précise : « Je ne suis pas professeur parce que, justement, je mets en question le sujet supposé savoir 4». Le professeur sen garde bien, il en est même le « représentant 5», et depuis cette position externe, livre un savoir sur son objet, une construction « bien reposante, où lon voit les choses bien rangées 6».

Dire « je ne suis pas professeur » répond à « je suis psychanalyste et dans lacte psychanalytique je suis moi-même pris 7». Mettre en question le sujet supposé savoir relève du procès même de lanalyse et place le discours qui en répond sur les pas de la logique, qui a pour fin dexclure « comme tel, le sujet supposé savoir 8».

 

« La psychanalyse ça fait quelque chose 9»

Ne pas être professeur a des effets. Lacan en est informé, son discours est scabreux, précaire, insatisfaisant, voire horrifiant, jusquà la panique10, autant dindicateurs de ses « effets dacte 11». Se faire comprendre nest pas une option, pour qui veut transmettre du nouveau, puisque lon ne comprend « quun sens dont on a déjà éprouvé la satisfaction 12». On ne comprend que ses fantasmes. La vérité, en revanche, « nest pas quelque chose qui se sait comme ça, sans labeur 13» et y toucher suppose, y compris pour celui qui enseigne, un effet de rupture avec le discours établi. Cette rupture ne va pas jusqu’au « détachement du sujet de tout ce qui peut se passer entre lui et lAutre 14». Si le discours analytique met en question le sujet supposé savoir, il ne le tient pas pour rien, il le met même en fonction. Lacan interpelle souvent son public parce que lacte où sinstitue son discours, à la différence dun cours clé en main, ou dune expérience scientifique, tient compte de lAutre, est dans la dépendance de lAutre auquel il sadresse.

Depuis l’acte

À suivre la logique, qui a pour fin « d’être interne à lopération elle-même 15», Lacan situe le discours psychanalytique non pas comme discours sur lacte, ni comme acte lui-même, mais comme discours depuis lacte, « qui sinstitue à lintérieur de lacte 16» et sarticule en savoir. Topologie qui rappelle la formule : « le non-su sordonne comme cadre du savoir 17» : lanalyste nopère pas à partir dun savoir de professeur sur le tableau clinique, mais à partir de ce non-su, cette « naïveté dun type nouveau 18» qui le fait lui-même pris dans le tableau. Sa position dans le discours psychanalytique nest pas d’être sujet de la connaissance, mais instrument de révélation dun savoir qui n’était pas déjà là.



[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XV, L’acte psychanalytique, Paris, Seuil/Le Champ Freudien, 2024, p. 73.

[2] Ibid., p. 183.

[3] Ibid., p. 185.

[4] Ibid., p. 184.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Ibid., p. 73.

[8] Ibid., p. 183.

[9] Ibid, p. 12.

[10] Ibid., p. 185.

[11] Ibid., p. 127.

[12] Miller J.-A., « Microscopie », Ornicar ?, n° 47, 1988, p. 59.

[13] Lacan J., Le Séminaire, livre XV, L’acte psychanalytique, op.cit., p. 295.

[14] Ibid., p. 297.

[15] Ibid., p. 183.

[16] Ibid., p. 183.

[17] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 249.

[18] Miller J. A., “Logiques du non savoir en psychanalyse”, La Cause freudienne, n° 75, 2010, p. 174.