Pendant longtemps, les linguistes ont cru que tout ce qui s’écartait de l’ordre donné d’une langue était « une irrégularité, une infraction à une forme idéale1Saussure F. de, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1972, p. 223.».La linguistique saussurienne a rompu avec ces considérations fondées sur l’idéal d’un état originel et pur des langues. Pour Saussure, la langue est plutôt « une robe couverte de rapiéçages faits avec sa propre étoffe2Ibid., p. 235.». Appartenant à tous et à personne en même temps, c’est dans sa continuelle activité de création qu’elle puiserait toujours en elle-même sa stabilité autant que son évolution. C’est la puissance structurelle de la langue, celle d’un tout qui fait loi. Saussure le démontre dans son Cours de linguistique générale quand il souligne que, quelle que soit l’évolution ou l’invention linguistique, tous les éléments sont déjà présents dans d’autres syntagmes. Et l’arbitraire du signe, toujours quelconque à ne prendre sa valeur et signification que par les autres signes, est foncièrement le lien entre la langue et le monde. Ainsi est proclamée la fin de ce rêve philosophique où les mots marquaient les choses comme le rappelle Michel Foucault dans Les Mots et les choses3Foucault M., Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966.. Le sujet émerge dans un monde langagier déjà structuré. Le petit d’homme doit y consentir non sans perte. C’est pourquoi, toutes velléités de se faire le maître des mots, de vouloir les dresser à sa guise ou de les mettre au pas, comme le revendique un des personnages de De l’autre côté du miroir4Carroll L., « De l’autre côté du miroir et de ce qu’Alice y trouva », Tout Alice, Paris, Flammarion, 1979.ne font que dévoiler l’inéluctable condition humaine pour laquelle la langue est le seul habitat.
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