La poésie vit d’insomnie perpétuelle.
R. Char, « La parole en archipel »
Dans ce numéro 32 de Cartello, vous allez découvrir trois textes qui s’inscrivent dans le sillage des travaux préparatoires au dernier Congrès de l’AMP sous le titre : « Le rêve son interprétation et son usage dans la cure lacanienne. » Du fait des conséquences cauchemardesques de la pandémie de la Covid-19 qui s’est abattue sur le monde, le congrès n’a pas pu avoir lieu, mais la recherche, elle, a été menée à son acmé.
Ces trois produits de cartel résonnent avec la myriade des produits de cartels inter-Écoles qui composent le volume Scilicet consacré au congrès1Association mondiale de psychanalyse, Le rêve, son interprétation, son usage dans la cure lacanienne, Scilicet, Collection rue Huysmans, 2020., orienté par le fil rouge du texte de Jacques-Alain Miller, « Réveil2Miller J.-A., « Réveil », ibid. p. 11.», un des noms du réel, référence majeure de la pratique lacanienne aujourd’hui. Scilicet accueille le résultat du travail des sept Écoles de l’AMP, il conduit son lecteur d’étonnements en surprises d’être un ouvrage de la communauté de travail « des épars désassortis3Lacan, J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI« , Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573.» de l’École-Une pétrie par le réel. Elle se matérialise dans la série des quatre-vingt-huit productions des cartellisants rassemblées dans l’ouvrage, issues des vingt-deux cartels mettant sur le métier vingt-deux items de recherche choisis avec grand soin.
Dans le moment et l’après-coup de l’ouverture de la préparation du nouveau congrès de l’AMP 2022, ce numéro de Cartello offre au lecteur trois productions de cartel référencées et ciselées sur la question du rêve dans l’enseignement de Freud, Lacan et de quelques autres. Comme dans Scilicet, chacun dans son style, les trois produits présentés ici sont des textes concis et précis, des « pièces détachées », véritables pépites rendant compte du savoir toujours complexe et en dérangement de la psychanalyse. Chacun des textes de ce numéro, comme les cent textes qui composent cet ouvrage, invite le lecteur à l’élucidation de la question : « Rêvons-nous différemment au fil de l’expérience analytique ?4Tendlarz S. E., « Scilicet. Le rêve », Lacan quotidien, n°894, 23 juin 2020, disponible en ligne en cliquant ici.», mise en perspective avec l’énoncé percutant de Lacan : « l’inconscient implique qu’on ne rêve pas seulement quand on dort5Association mondiale de psychanalyse, Le rêve, op. cit., p. 14.». Nos trois auteurs interrogent le rêve à nul autre pareil, le cauchemar, l’interprétation du rêve et la conceptualisation selon l’orientation lacanienne.
À partir du signifiant énigmatique « le logogriphe6Lacan. J., Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 627.», Anaïs Adam, en revisitant le rêve de la belle bouchère, étudie le rêveur, son récit et son interprétation à la lumière des références de Freud, de Lacan et de J.-A. Miller. Avec finesse, elle montre combien « le désir est plus compliqué que ce que l’on croit », entre l’énigme de ce que veut une femme et la division du désir masculin.
« Yad’lun7Lacan J., Le Séminaire, livre xix …ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 127.» dans le rêve, c’est ce que Marie-Rosalie Di Giorgio se propose d’examiner en prenant appui dans une première partie sur le Séminaire xix …ou pire, par lequel Lacan commence son dernier enseignement, en mettant en son cœur cet aphorisme « Yad’lun », l’Un-tout-seul avec et dans sa jouissance. Ceci afin de cerner dans la seconde partie, en traversant le texte « Corps de rêves », de Marie-Hélène Brousse8Brousse M.-H., « Corps de rêves », La Cause du désir, n°104, mars 2020, p. 49-51., dans une analyse implacable ce qu’il peut en être de l’Un dans le rêve et de rencontrer ainsi l’exil, marque de la singularité du parlêtre.
Caroline Simon met sur le métier la question du cauchemar en tant qu’il réveille le dormeur. Angoisse et jouissance qui affectent le corps sont au rendez-vous, index du réel. Ce réel, impossible à dire, aperçu dans le réveil provoqué par le cauchemar concerne l’ombilic du rêve, qui est non dicible et non interprétable par le sens. Caroline Simon conclut son texte en indiquant comment le dispositif spécifique du cartel lui a permis de soutenir sa question et d’obtenir ainsi un gain de savoir pas sans un reste ouvrant à d’autres questions. Cette considération se retrouve tout aussi bien dans le texte de Anaïs Adam que dans celui de Marie-Rosalie Di Giorgio.
Bonne lecture !
Claudine Valette-Damase est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.