« Pour vous permettre de vous y retrouver au moyen de références qui vous soient un petit peu plus familières, et puisque j’ai parlé tout à l’heure du Père, je dirai, mon Dieu, que cet il n’existe pas de x qui se détermine comme sujet dans l’énoncé du dire que non à la fonction phallique concerne à proprement parler la vierge. 1Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 204. » Cette phrase, lue lors d’un cartel consacré au Séminaire XIX, m’a surprise. Que venait faire, dans la leçon « Théorie des quatre formules », cette référence à la vierge ? et encore plus, mise en relation avec la formule il n’existe pas de x qui ne soit pas phi de x ?
Ce à quoi Lacan fait allusion avec « la vierge » ne permet pas de border un universel : « la virgo n’est pas dénombrable. C’est parce qu’elle se situe entre le 1 et le 0, contrairement à l’Un qui est du côté du Père 2Ibid., p. 205. ». Le Père répond à l’existence de l’exception, l’au moins un permettant d’établir l’universel de « tous les hommes ». Dès lors, pouvons-nous dire que la vierge, contrairement au Père, n’existe pas ?
Dans l’élan des réflexions surgies lors du cartel, j’ai pris cette allusion à la vierge comme une invitation à relire Freud, et à nous référer à son texte « Le tabou de la virginité », à sa façon d’a-border le féminin.
Lacan affirme que le « mythe de Totem et Tabou est fait de la façon la plus patente pour que l’on puisse parler de tout homme comme étant sujet à la castration 3Ibid., p. 203. ». Passant d’un tabou à un autre, il introduit ensuite les histoires « follement folkloriques 4Ibid., p. 204. », par lesquelles débutent son développement dans son texte « Le tabou de la virginité ». À partir de l’interrogation sur des pratiques de « peuples primitifs 5Freud S., « Le tabou de la virginité », La Vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 66. », où les jeunes filles sont déflorées en dehors du mariage ou avant toute relation sexuelle – « le fait qu’autrefois les vierges n’étaient baisées pas par n’importe qui, il fallait au moins un grand prêtre ou un petit seigneur 6Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, op. cit., p. 204. », résume Lacan – Freud situe un tabou en tant que défense face à un danger, celui que « crée le fait de déflorer la jeune fille [et qui] consiste en ce qu’on s’attire son hostilité 7Freud S., « Le tabou de la virginité », op. cit., p. 74. ».
Freud nous amène de l’anthropologie à des considérations issues de la clinique et les explications qu’il cherche face à ce qu’il appelle « l’énigme de la frigidité 8Ibid. », et nous soulignerons plutôt l’énigme que la prétendue 9Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 69. frigidité. Il met en avant chez la femme la fixation libidinale au père dans les « désirs sexuels maintenus depuis l’enfance », et signale que « ces désirs visent autre chose que le coït ou ne l’incluent que comme un but imprécis 10Freud S., « Le tabou de la virginité », op. cit., p. 75. », ce qui indique qu’il n’y a pas d’inscription du rapport sexuel dans l’inconscient. Cette fixation contribuerait au rejet de l’homme-substitut-du-père comme « étant incapable de satisfaire la femme » et comme n’étant pas « l’homme véritable 11Ibid. » – modalité de désir marquée par l’insatisfaction.
Freud poursuit vers des « couches encore plus profondes », où il trouve « des motions qui s’opposent surtout à la fonction et au rôle féminins 12Ibid., p. 76. », le nom de ce refus du féminin étant le penisneid, l’envie du pénis. La sexualité féminine constitue une énigme, Freud s’y aventure avec la boussole phallique et œdipienne, non sans donner des indications précieuses, qui, à la lumière de ce que Lacan avance, nous permettent d’aller au-delà. Il note ainsi que le tabou vient à la place de quelque chose, constituant une défense, et que « [p]eut-être ce qui fonde cette crainte c’est le fait que la femme est autre que l’homme, qu’elle apparaît incompréhensible, pleine de secret, étrangère et pour cela ennemie 13Ibid., p. 71.». Le danger, figuré comme une « réaction archaïque d’hostilité 14Ibid., p. 79. » supposée à celle qu’on dit-femme 15Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 79. , ne serait-il pas plutôt l’indice de ce qui est du côté du pas-tout, jouissance que la limite phallique ne peut résorber ?
Effet de l’élaboration en cartel, je lis les thèses freudiennes comme n’attrapant pas tout de ce qui concerne le féminin. Un pas de plus peut se faire à propos de la fonction du tabou : ne fait-il pas consister, par le biais de l’interdit qu’il supporte, quelque chose à la place d’un trou, là où il n’y a, en somme, pas de rapport sexuel ?