Cartello, 44

Le cartel et le désir de travail d’Écolé

06/10/2023
Mathieu Siriot

Le cartel constitue pour Lacan, avec le dispositif de la passe, « l’organe de base »1Lacan J., « D’écolage », Aux Confins du séminaire, Paris, Navarin, 2021, p. 56. d’une École de psychanalyse. Il le rappelle clairement en 1980, lors de la dissolution de l’École freudienne de Paris et la création de l’École de la Cause freudienne. Il restaure ce qu’il avait énoncé en 1964 dans l’Acte de fondation2Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001. de son École. L’importance fondamentale qu’il accorde aux cartels, à ces petits groupes composés de quatre membres maximum et d’un plus-un, s’avère la condition nécessaire pour que se maintienne au sein d’un collectif le but d’une École de psychanalyse, à savoir des effets de formation et surtout de production d’un travail singulier, propre à chacun. Lacan le formule tel quel : « Quatre se choisissent pour poursuivre un travail qui doit avoir son produit. Je précise : produit propre à chacun, et non collectif »3Lacan J., « D’écolage », Aux Confins du séminaire, op.cit., p. 56.. Pour garantir cette mise au travail et le désir de chacun, l’École doit se prémunir des effets imaginaires du groupe qui y font entrave, ce qu’il nomme avec un jeu de mots : « l’effet de colle ».

Le cartel est ainsi l’organe qui décomplète l’effet massifiant que génère le groupe, et par conséquent d’étouffement de la cause singulière de chacun. Sa structure minimale, 4+1, où chacun produit son savoir, élabore sa question, se veut aller à l’encontre de toute tentative de hiérarchisation vers le bas ou d’incarnation d’un prétendu maître détenteur du savoir. Le plus-un veille, au sein des petits groupes qui s’additionnent entre eux pour former un ensemble, à cette décomplétude et à la poursuite du travail de chaque membre. La durée, limitée à deux ans, d’un cartel constitué, et la permutation exigée dans le choix de ses membres, vont dans le même sens. Le cartel incarne au niveau institutionnel l’absence de rapport sexuel, permettant de se décoller de toute illusion d’un Un groupal, universel. Lacan a en effet pensé son École selon une logique qui maintient une place vide au sein de l’ensemble, favorisant le surgissement de la singularité de chacun et le désir de travail d’École, ou d’Écolé pour reprendre une équivoque qu’il prononce en 1980. L’École, comme le précise Jacques-Alain Miller, est une organisation circulaire4Miller J.-A., « Le cartel au centre d’une École de psychanalyse »., une unité dynamique5Miller J.-A., « Théorie de Turin sur le sujet de l’École », La Cause freudienne, no 74, janvier 2010, p. 132., où le savoir de l’analyste et de la psychanalyse est maintenu incomplet. Chacun est renvoyé à sa propre solitude subjective et à une authentique recherche, désirante et décidée au un par un, de ce qu’est l’analyste. À l’image d’une analyse, l’École de Lacan, par le cartel, impulse le d’écolage du désir.


Mathieu Siriot est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.

  • 1
    Lacan J., « D’écolage », Aux Confins du séminaire, Paris, Navarin, 2021, p. 56.
  • 2
    Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001.
  • 3
    Lacan J., « D’écolage », Aux Confins du séminaire, op.cit., p. 56.
  • 4
    Miller J.-A., « Le cartel au centre d’une École de psychanalyse ».
  • 5
    Miller J.-A., « Théorie de Turin sur le sujet de l’École », La Cause freudienne, no 74, janvier 2010, p. 132.