Cartello, 25

Le cartel des lecteurs désassortis

06/03/2019
Daniel Pasqualin

Intervention prononcée à la soirée de rentrée des cartels : « Lire Lacan ? En cartel ! » organisée par l’ACF en Belgique, à Bruxelles, le 27 septembre 2018.

Lacan a inventé le cartel comme petit groupe conçu pour étudier les concepts psychanalytiques. Pour rendre la psychanalyse vivante. Même si le cartel organise, il ne sacrifie pas toutefois la surprise du singulier. Il ne sert pas à collectiviser les lecteurs.

Certes, il rassemble les corps de quelques-uns qui sont affectés par les signifiants que Lacan nous a transmis. J’ai eu l’occasion de témoigner ailleurs qu’à ma première lecture du Séminaire Encore1Lacan J., Le Séminaire, livre xx, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975., j’avais jeté le livre dans le mur. J’étais seul avec l’effet du Séminaire. Il m’a percuté. J’ai pu en reprendre la lecture par le cartel. Pas tout seul. Si Lacan a voulu une École, c’est pour ne pas que chaque Un délire tout seul dans son coin. Ce qui était ma tendance.

Mon expérience du travail en cartel m’a apporté des effets inégaux ! Deux choses retiennent mon attention après coup. Le rôle du plus-un et la question de l’inscription dans l’École.

Ce ne sont pas des détails. Le plus-un ne doit pas incarner le maître du savoir, la ressource du cartel, fût-il bienveillant. Ce qui serait reboucherie du trou dans le savoir. Il a pour mission d’empêcher l’effet de colle inhérent à tout groupe. Comme le dit Lacan : « il n’y a pas de tous en l’occasion2Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire xi », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573.».

De plus, le plus-un inscrit d’abord le cartel dans l’École. C’est une des formes du transfert de travail vers l’École. Cette question de l’adresse est importante. Les épars qui se frottent aux textes de Lacan, au départ de leur question personnelle, sont vectorialisés dans l’École. Ce n’est pas un geste anodin que d’inscrire. C’est une adresse, nous composons des cartels de l’ECF.

Je me rappelle d’un cartel dont Rachel Fayerstein était le plus-un. J’étais assis à côté d’elle, elle a repéré que j’avais un pense-bête dans mon Séminaire. C’était une petite carte de calligraphie chinoise. Rachel me demanda : « Qu’est-ce qui est écrit là-dessus ? » Alors je répondis, non sans surprise, en retournant la carte : « Pour vivre heureux, vivons cachés ! » Nous avons tous bien ri. Elle avait pointé la question du regard pour moi. J’ai pu me mettre au travail avec ce bout de fil. Mon fil. Le savoir est toujours lié à un problème de jouissance, à nulle autre pareille. Ce qui fait donc que chaque question est singulière. Pour moi, c’est la même logique qui anima Lacan dans son invention de la passe, pour les épars désassortis de l’École, les AE.

Daniel Pasqualin est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.

 


  • 1
    Lacan J., Le Séminaire, livre xx, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975.
  • 2
    Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire xi », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573.