Cartello, 22

La grammaire n’est pas toute

26/09/2018
Dalila Arpin

Le travail en cartel est l’un des piliers de la formation de l’analyste tout comme les enseignements et la cure elle-même. Il est tout à fait naturel que le travail en cartel vienne nourrir les avancées dans une analyse.

En ce qui me concerne, ce fut un cartel autour de la lecture du Séminaire Le sinthome qui m’a permis de faire un bond comme analysante. Alors que nous étions au début de ce travail, quelques phrases de Lacan m’ont inspiré un rêve.

« Y a-t-il impossibilité que la vérité devienne un produit du savoir-faire ? Non. Mais elle ne sera alors que mi-dite, s’incarnant d’un signifiant S indice 1 où il en faut au moins deux pour qu’en paraisse l’unique La-femme – mythique en ce sens que le mythe la fait singulière1Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p.13.. « La-femme dont il s’agit est un autre nom de Dieu, et c’est en quoi elle n’existe pas2Ibid., p. 14.». « La femme n’est toute que sous la forme dont l’équivoque prend lalangue nôtre son piquant, celle du mais pas ça, comme on dit tout mais pas ça.3Ibid.»

Après cette réunion de cartel, je rêve de la phrase : « La grammaire n’est pas toute. » Mes associations m’amènent à « la grande-mère », la toute mère, position que j’avais incarnée pour fuir le féminin en moi. Dans la première séance, l’analyste n’avait-il pas pointé justement la position maternelle qui me caractérisait ? Je ne pouvais qu’avoir des partenaires ayant un trait enfantin que je maternais.

Le rêve venait montrer le franchissement qui s’opérait et que les lectures en cartel m’avaient permis de mettre en mots, ou plutôt, en équivoque. La solution d’incarner la mère avait été ma façon de faire exister une figure mythique, celle de la femme toute, méconnaissant les émergences du pas-tout. Tout mère et par conséquent, pas du tout femme. Lacan nous enseigne que les femmes ne sont pas folles… du tout. Et nous connaissons, grâce à son enseignement, les affinités de la position maternelle et la position phallique. Petite, j’imaginais avoir 14 enfants ! La maternité m’était apparue comme la solution pour combler la privation féminine. Hormis le signifiant-maître (S1) « mère », il y avait aussi mon premier prénom, celui de la mère de ma mère, la grand-mère maternelle.

Le dévoilement de cette position dans l’analyse a permis aussi de changer mon rapport à la vérité. Dès lors qu’elle ne peut être que mi-dite, elle a des liens profonds avec la féminité, dont on ne peut que mi-dire en quoi elle consiste, d’où le ravage maternel. Alors que j’avais été une passionnée de la vérité, je pouvais maintenant en être libérée.

Certes, associer librement à partir des phrases de Lacan n’est pas la même chose que mettre au travail cet enseignement, mais cela rend compte du nouage si précieux qui se fait entre cartel et cure. Et, dans ce nouage, il ne pourrait pas manquer un élément tiers, l’École, qui permet l’inscription aussi bien des cartels que de sa propre cure dans la perspective de la passe.

Dalila Arpin est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.

 


  • 1
    Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p.13.
  • 2
    Ibid., p. 14.
  • 3
    Ibid.