Jacques-Alain Miller pointe « un certain manque d’enthousiasme pour le cartel »1Miller J.-A, « Intervention à la journée des cartels du 8 octobre 1994 », La Lettre Mensuelle no 134, 1994, p. 35-37.. J’ai déjà travaillé en cartel, or j’avais fini par négliger ce dispositif. Si j’en garde de bons souvenirs, pourquoi n’en avais-je pas renouvelé l’expérience? Lors de mes premiers cartels, j’étais venue trouver du savoir, dans un transfert adressé au plus-un. J’avais fait du cartel « un organe où l’on fait son apprentissage2Miller J.-A, « L’École à l’envers ».. Or, « le cartel d’apprentissage n’était pas dans l’intention première de Lacan »3Ibid.. Passé ce premier élan, j’avais moi-même déserté le cartel. J’étais occupée ailleurs, autrement, Collège clinique, préparation des activités de l’antenne ACF à Carcassonne… Concernant les cartels, mon désir s’était émoussé. Vint la période Covid et le suspens des activités. Là, j’ai répondu avec joie à la proposition de collègues: travailler en cartel autour des prochaines journées de l’AMP. Confinées? Cartel Zoom! Sortir du cauchemar en faisant route vers les prochaines journées de l’AMP, en proposant une newsletter, B’rêves, autour du rêve4https://www.associationcausefreudienne-mp.com/cartels/b-reves-vers-le-xiie-congres-de-l-amp!
Ce cartel a relancé quelque chose de mon désir, mais quoi exactement? Dans son « Acte de fondation », Lacan indique que l’École est « l’organisme où doit s’accomplir un travail […]. Pour l’exécution du travail, nous adopterons le principe d’une élaboration soutenue dans un petit groupe »5Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.. Le signifiant travail traverse l’Acte de fondation. De quel travail s’agit-il? Celui de l’École. Ce travail passe par le cartel – non par le séminaire, la conférence, le cours. Le plus-un y est « chargé de la sélection, de la discussion, et de l’issue à réserver au travail de chacun »6Ibid.. Ainsi, « si une reconnaissance s’effectue au niveau de l’École, c’est celle d’un travail. »7Miller J.-A, « L’École et son psychanalyste », Quarto no 110, avril 2015, p. 13. L’École est un organe de travail qui inclut une promesse de reconnaissance, non de l’analyste, mais du travail produit par le cartellisant. Le travail produit en cartel, voilà la promesse joyeuse! Dans l’après-coup de l’aventure, je peux écrire que ce nouvel appétit pour le cartel à relancé mon transfert à l’Ecole.
Pour autant, le travail en cartel m’a t’il rendue moins seule? « Chacun d’entre nous peut se poser la question suivante: suis-je seul ou pas dans ma relation à la psychanalyse ? »8Ibid., p. 10. En 1964, s’avançant pour fonder son école, Lacan écrit : « je fonde – aussi seul que je l’ai toujours été dans ma relation à la cause psychanalytique – l’École française de psychanalyse »9Lacan J., « Acte de fondation », op. cit., p. 229.. Il précisera sa visée dans son « Discours à l’E.F.P. » : « Ma solitude, c’est justement à quoi je renonçais en fondant l’École. »10Lacan J., « Discours à l’École freudienne de Paris », Scilicet no 2-3, Paris, Seuil, 1970, p. 7-29.
Seule, on l’est dans son rapport au savoir qui est toujours à prendre, mais le partage de nos avancées, questions, tentatives d’élaboration vient rompre la solitude. Il la détourne de sa plainte mortifiante, la colore d’un goût pour la transmission qui inclût le renoncement au tout dire. Prenant acte de cette nouveauté, j’ai proposé la possibilité de poursuivre les activités psychanalytiques de l’antenne de Carcassonne avec l’expérience du cartel. Deux cartels sont nés, dont un tourné vers un colloque de l’ACF en Midi-Pyrénées. Ils ont fonctionné durant deux années et ont donné lieu à deux produits présentés lors d’une matinée d’Intercartel. Entre temps, j’ai adressé ma demande d’admission à l’École.
Le cartel est une machine à rompre la solitude.
Dominique Szulzynger est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.