Cartel versus École… de la République
À revenir aujourd’hui sur ma toute première expérience en cartel, surprise est de constater que ce qu’il en reste n’est pas d’abord de l’ordre du savoir, mais plutôt de ce qui a fait impression. Reste, en effet, celle produite par la répétition des rendez-vous à 4 chez le +1, le soir, en plein hiver aussi, pour expérimenter cette modalité inédite de lecture à plusieurs. Ça tranchait avec la lecture solitaire prise dans le discours de l’universitaire dans lequel je m’étais logée si longtemps! Ça mobilise toujours le corps et le désir autrement! Reste aussi le souvenir d’un trouble. Ce trouble, tenace au creux du corps, alors que c’était mon tour de présenter, est venu déranger mon énonciation tout au long de la séance. Ce trouble, je l’écrirai aujourd’hui par le vide qui commençait à s’opérer à l’intersection entre cet ensemble singulier à 4+1 dans lequel j’entrais, et l’ensemble que j’allais quitter, l’Éducation nationale où j’enseignais la philosophie depuis plus de 20 ans. Ce qui s’expérimentait, c’était, en effet, la possibilité d’une lecture, depuis ce vide du savoir universitaire, pour s’en servir autrement, une lecture pas sans écho aux points de butée, de non-savoir, qui du divan aux textes, résonnent. Cartel versus École de la République! Point zéro d’une autre modalité de lecture et de travail, vers une autre École.
Cartel et Ecole, deux ensembles en intersection
Entre le cartel et l’École s’écrit aussi une autre intersection: pas tous les éléments du cartel appartiennent à l’École. Mais en tant que le cartel s’y déclare, c’est un premier pas possible. Pour autant, ce n’est pas ça qui m’a résolument orientée vers cette École. En plus de l’analyse, cette direction s’est en effet écrite, surtout comme intersection incarnée, à partir d’un transfert de travail, au « une par une » des rencontres, que ce soit avec d’autres cartellisants, ou différents +1, loin d’une École consistant comme un tout. De même, d’un cartel à l’autre, ce qui s’est vérifié, c’est que ni la psychanalyse, et encore moins Lacan, ne s’attrapent, eux non plus, comme tout consistant. Ce faisant, d’un cartel à l’autre, ce qui s’est vérifié, c’est la puissance de l’orientation proposée par Jacques-Alain Miller, boussole sans pareil pour pister le réel au travail chez Lacan, quel que soit l’objet d’étude que se donne un cartel.
Ecole, sous-ensemble de l’ensemble Cartel
Si pas tous les cartellisants sont membres de l’École, tous les membres de l’École s’engagent en cartel. Chaque un, en tant qu’élément, appartient ainsi à l’ensemble des cartels. Et finalement, c’est l’École qui s’inclut, comme sous-ensemble, dans celui des cartels. Ce faisant, avec l’entrée à l’École, l’engagement dans le travail en cartel se fait maintenant aussi engagement pour une orientation vivante de l’École. C’est en ce sens que j’entends la proposition de Lacan de faire du cartel l’organe de base de l’École1Lacan J., « D’Écolage », Aux confins du Séminaire, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Navarin, 2021.. S’il a choisi le cartel plutôt que l’enseignement ou la conférence, n’est-ce pas – à jouer de l’équivoque avec le signifiant « organe » – pour maintenir le vivant à la base de l’École? En inventant un ensemble d’un genre nouveau, par sa durée de vie limitée, ouvert à la contingence des rencontres sur fond de transfert de travail, n’est-ce pas le gage de l’émergence possible du « nouveau »2Expression empruntée à Miller J.-A., …du nouveau ! Introduction au Séminaire V de Lacan, Paris, Rue Huysmans, 2000.?
Virginia Rajkumar est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.