Cartello, 15

Cartel fulgurant et souvenir-écran

19/02/2017
Stéphanie Bozonnet

Lors de ce cartel fulgurant, le temps concentré de nos quatre séances de travail précipita la hâte d’en extraire une écriture pour une journée d’étude intitulée « Histoire et psychanalyse ». Le cartel « fulgurant » peut prendre l’allure d’une certaine « promptitude ». Notre thème se précisa sur la question du souvenir-écran. Je questionnai le souvenir-écran dans son lien au fantasme. Le fantasme s’écrit, prend écriture dans le souvenir-écran.

La part prise par le fantasme dans la déformation du souvenir a été particulièrement élucidée par Freud. Le souvenir-écran recouvre des expériences refoulées ou des fantasmes. Comme production de l’inconscient, tout comme le symptôme, il est « une formation de compromis ». L’essentiel de la vie infantile y est contenu, et le souvenir-écran sert à rendre « la scène innocente1Freud S., « Sur les souvenirs écrans », Névrose, psychose et perversion, (1899), Paris, PUF, 1978, p. 126.». Conformément à la première topique, les forces psychiques s’opposent, le souvenir insiste, persiste dans la mémoire : l’une s’autorise de l’importance de l’expérience vécue pour vouloir s’en souvenir et l’autre y met une résistance. Cela donne un effet de compromis à ce conflit : il s’agit d’un déplacement et de la substitution de l’élément qui a choqué à un évènement banal. Ce qui est refoulé de la sexualité est à dévoiler dans le travail de l’analyse. Freud évoque le fantasme qui « doit se contenter de trouver accueil sous forme d’allusion dans une scène d’enfance2Ibid.». Le travail de remémoration se déploie grâce au « pont verbal3Freud S., Psychopathologie de la vie quotidienne, (1901), Paris, Bibliothèque Payot, 1987, p. 65.», travail d’association, où les signifiants maîtres du sujet se dévoilent.

Lacan, avec l’objet du fantasme, introduit un point de réel contenu dans le souvenir-écran. « Avec le fantasme, nous nous trouvons devant quelque chose de même ordre, qui fixe, réduit à l’état d’instantané le cours de la mémoire en l’arrêtant en ce point qui s’appelle le souvenir écran4Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1994, p. 119.». Lacan prend comme métaphore une scène cinématographique brutalement interrompue « figeant tous les personnages » et « cet instantané est caractéristique de la scène pleine, signifiante, articulée de sujet à sujet, à ce qui s’immobilise dans le fantasme5Ibid., p. 119-120.». Le fantasme se loge dans le souvenir-écran. L’important n’est pas la réalité mais comment le sujet l’a articulée en signifiants, c’est-à-dire la réponse du sujet. La vérité est à inscrire dans les signifiants. Le souvenir-écran a donc un caractère de semblant, de fiction. Il est « l’habit » où l’objet, cause de désir du sujet, se « fixe » dans le fantasme.

Les deux souvenirs écrans d’Anna, jeune fille d’une douzaine d’années, héroïne du film d’animation japonais Souvenirs de Marnie, tourné en 2014 par le cinéaste japonais Hiromasa Yonebayashi, insistent par leur fixité et leur caractère d’énigme. Ils figent cette jeune fille. On pourrait y lire une phrase du fantasme « On abandonne un enfant », dont le signifiant, réel, est présentifié par les malaises de la jeune fille, comme vérité du sujet. Abandonnée, comme le manoir où gît l’énigme de son être, Anna se met, grâce à quelques petits autres, à construire une fiction, à partir de ces deux souvenirs, pour recouvrir un réel sans nom, la mort de ses parents. Ce travail de remémoration amène un savoir nouveau et provoque un remaniement subjectif : Anna peut se faire « adopter ». La vocation de la fiction est de recouvrir le réel. Le souvenir serait donc à produire… au passé.

Stéphanie Bozonnet est membre de l’ACF en Rhône-Alpes.

 


  • 1
    Freud S., « Sur les souvenirs écrans », Névrose, psychose et perversion, (1899), Paris, PUF, 1978, p. 126.
  • 2
    Ibid.
  • 3
    Freud S., Psychopathologie de la vie quotidienne, (1901), Paris, Bibliothèque Payot, 1987, p. 65.
  • 4
    Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1994, p. 119.
  • 5
    Ibid., p. 119-120.