Cartello, 1

« A-corps perdu », l’avènement d’un sexe neutre ?

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01/06/2016
Bernard Lacasse

Question désordre, le transsexualisme a interrogé le XXe siècle, faisant chuter Œdipe de son piédestal. Des hommes sont devenus femmes, des femmes sont devenues hommes. Se parer des semblants de l’autre sexe, selon l’expression de Lacan, traduit l’invention dont certains se sont satisfaits pour répondre à ce qui fait énigme concernant la sexuation. Pas-tous, qu’on peut écrire avec un trait d’union, en référence au pas-tout.

Au XXie siècle, la figure de Tirésias prend une actualité nouvelle. Tirésias, rappelons-le, fut rendu célèbre pour avoir au cours de sa vie, changé de sexe deux fois. Le cas médiatique de Norrie May-Welby, Écossais australien de cinquante-deux ans, semble s’inscrire dans cette filiation. En mai 2013, il devient la première personne au monde à être reconnue officiellement de sexe neutre. Pour la première fois, un pays, l’Australie, reconnaît un sujet de sexe « non spécifié ». Ceci crée dans le monde occidental contemporain un précédent. L’histoire relate un premier changement de sexe, à l’âge de vingt-huit ans. L’affaire n’en reste pas là et semble faire un détour insolite, révélant son bout de réel. Peu satisfaite, la nouvelle Madame Welby décide ultérieurement de renoncer à la chirurgie mammaire, stoppe le traitement hormonal, le corps retrouve pour partie ses caractères masculins. Cependant, nul désir de revenir à sa condition initiale d’homme, elle ne s’y est jamais reconnue. Son désir pousse vers ce que certains nomment le troisième sexe, le neutre, dit dans sa langue maternelle : no gender.

Elle dira : « Les concepts d’homme et de femme ne me correspondent pas, la solution la plus simple est de n’avoir aucune identification sexuelle. » Dans ses démarches vers la reconnaissance, la ligne de défense repose sur le fait que la loi ne doit pas concerner uniquement la majorité des gens, mais tout le monde, inclure le ni-homme ni-femme, le neutre dont elle revendique la position.

La cour d’appel de la Nouvelle-Galles du Sud officialise l’existence d’un non-genre sexuel sur ses certificats de naissance, de décès, de mariage. La langue anglaise forge les pronoms personnels neutres zie et hir en remplacement des he/she et his/her conventionnels.

L’impossibilité de se situer d’un côté ou de l’autre du tableau de la sexuation, avec la neutralité comme issue espérée, semble révéler un réel pour ce sujet. L’absence de signifiant pouvant le/la représenter met l’Autre en devoir de répondre, là où le code défaille. Ce combat pour parer au manque de signifiant, parer au trou dans l’Autre, S de A barré, la législation du XXie siècle a décidé de le résoudre. Hir calmera-t-il le débordement de jouissance ? S’agira-t-il d’une écriture sinthomatique pour habiller l’innommable de la sexuation ?

Ce hir introduira-t-il une forme discursive ou d’autres se reconnaîtront ? Jacques-Alain Miller a anticipé la difficulté : « Cela implique une symbolisation du réel, de se référer au binaire homme-femme comme si les êtres vivants pouvaient être répartis si nettement, alors que nous voyons déjà, dans le réel du XXie siècle, un désordre croissant de la sexuation.1Miller J.-A., « Le réel au XXie siècle. Présentation du thème du IXe Congrès de l’AMP », Scilicet, Paris, AMP-École de la Cause Freudienne, coll. rue Huysmans, 2012, p. 26.»

Sexuation et réel ont assurément leur survie garantie dans le glossaire de la psychanalyse, mais parions que structure et désordre ont encore quelques beaux jours, aujourd’hui comme demain.

Côté clinique, cette dichotomie paroxystique entre discours et corps est à chaque fois comme la première, une surprise où effectivement affleure un bout de réel. Osons un mot d’esprit : « Depuis le XXe, on sait faire avec ! » La psychanalyse donne quelques pistes pour l’aborder. Nestor Yellati, dans le dernier Scilicet, écrit : « il s’agit, dans chaque cas, de déterminer si la transformation chirurgicale du corps peut mener à un déclenchement psychotique franc ou, au contraire, si elle peut consolider une suppléance stabilisatrice du sujet2Yellati N., « Transsexualisme », Scilicet, op. cit., p. 358.». L’alternative de la transformation du corps croise le destin de la structure, au cas par cas. Le recours à la notion de structure y conserve son utilité. L’usage pratique de cette référence survivra-t-il dans le vocabulaire du psychanalyste nouveau ?


  • 1
    Miller J.-A., « Le réel au XXie siècle. Présentation du thème du IXe Congrès de l’AMP », Scilicet, Paris, AMP-École de la Cause Freudienne, coll. rue Huysmans, 2012, p. 26.
  • 2
    Yellati N., « Transsexualisme », Scilicet, op. cit., p. 358.