Le Fake a envahi en quelques années le langage concret que parlent les gens1Cf. Lacan J., « De la structure comme immixtion d’une altérité préalable à un sujet quelconque. Conférence à Baltimore, 1966 », texte établi par J.-A.Miller, La Cause du désir, n°94, octobre 2016, p. 9.. Il dénonce une vérité, marquant son inconsistance et renvoie à l’idée d’une contre-vérité dans un système de dénonciation en poupées russes : chaque vérité serait un Fake qui cacherait une autre vérité, Fake elle-même et ainsi de suite… Le Fake témoigne alors d’un besoin immodéré de donner du sens, un sens ultime, une vérité absolue, dire le vrai sur le vrai et conduit aux théories du complot les plus délirantes.
Il faut reconnaître que la vérité est suspecte, comment oublier tout ce qui a pu s’opérer de massacre au nom de La vérité. Il y a donc un paradoxe de la vérité que recouvre le mot Fake : d’un côté l’idée d’une pureté de la vérité, une vérité Une qui exclurait toutes les autres, pouvant mener au pire et d’un autre côté le relativisme absolu : il n’y a pas de vérité, tentation de faire disparaître toute notion de vérité, renvoyant à une inconsistance de l’Autre.
Ce paradoxe s’entend dans ce que disait Jacques-Alain Miller : « Dès que l’on suppose les manigances de l’Autre, il n’est aucun fait qui ne s’explique, et l’absence de fait aussi bien. Vous objectez que les preuves manquent ? C’est qu’elles ont été soustraites. Fût-ce à coups d’interprétations délirantes, le complotiste dissipe les mystères. Il vous démontre à sa façon que le réel est rationnel. Autrement dit, il simule le savoir scientifique.2Miller J.-A., « Dès qu’on parle on complote », Le Point, 15 décembre 2011. Disponible en ligne ici.»
Lacan a tenu les deux bouts de la ficelle de ce paradoxe pour donner une lecture de la vérité qui peut nous orienter aujourd’hui. Pour la psychanalyse la vérité, l’amour de la vérité est d’abord support du transfert et permet l’instauration du sujet supposé savoir. Il faut une longue analyse pour qu’un sujet entende sa vérité comme menteuse, soit un au-delà de la vérité, repérage dans l’analyse de son statut de fiction et de l’importance des semblants comme réponse. Ainsi, pour la psychanalyse, La vérité à l’instar de La femme n’existe pas. Elle se construit au un par un, singulièrement, dans un travail d’élaboration sous transfert pour qu’en fin d’analyse, ces fictions se détachent. Il y a donc une éthique de la vérité. « Le commencement, qui s’ordonne à la psychanalyse du sujet, trouve comme en diagonale sa fin dans la psychanalyse du parlêtre. La question sur le sens de désir et la vérité trouve sa réponse de satisfaction, ce qui suppose que les moires de la vérité se soient éteintes et son mirage volatilisé3Miller J.-A., « Psychanalyse en immersion » (2008), La Cause du Désir, n°106, novembre 2020, p. 30.».
Lacan ne s’oriente pas du vrai mais du non-rapport sexuel au regard duquel le sens, l’objet a, le langage même… sont des semblants, des élucubrations, la vérité est menteuse. Ce n’est donc pas le même délire, celui que déclenche l’inconsistance de l’Autre et celui qui se repère, en fin d’analyse, de la rencontre d’un sujet avec ce point de l’inexistence de l’Autre.
Question d’École vous proposera d’interroger le statut et les paradoxes de la vérité à l’heure du Fake.
QE 2021. le programme
Au programme de ce samedi 23 janvier, une journée dense ponctuée de plus d’une quinzaine d’interventions et discussions.
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