S’informer › Flash
coupure

Au commencement est le transfert

Introduction à la rubrique Coupure

© designlovefest-tumblr
19/11/2021
Frédérique Bouvet

Avec le Séminaire xi, Jacques Lacan offre une perspective sur l’inconscient freudien, au-delà de sa dimension purement symbolique selon laquelle il est structuré comme un langage. L’inconscient devient lacanien avec la béance. Il se manifeste dans un moment de discontinuité, d’ouverture mais aussi comme « lacune, coupure, rupture qui s’inscrit dans un certain manque1Lacan J., Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 141.». La rubrique Coupure se propose dans un format court, de saisir un point crucial de la psychanalyse et d’ouvrir la possibilité de lire Lacan pour ceux qui n’en connaissent pas la langue.

Pour introduire cette rubrique, le concept du transfert s’est imposé : c’est sur le transfert que se fonde l’expérience psychanalytique et c’est lui, encore, qui fait point de butée dans notre monde aujourd’hui. Comment saisir cette impasse féconde du transfert avec la psychanalyse ?

En effet, ce dernier est inhérent à tout lien social et ne concerne pas que la psychanalyse. Le transfert naît dès lors qu’un sujet s’adresse à un autre sur fond d’une supposition de savoir. Son maniement, qui implique une pratique active, vise à changer le rapport d’un sujet à l’Autre. En distinguant le transfert comme l’un des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Lacan en a situé la valeur opératoire dans l’expérience analytique comme condition d’un acte qu’il s’agit de produire. Comment la psychanalyse d’orientation lacanienne a-t-elle fait du transfert le point pivot de toute interprétation possible ? Flashback !

Au début de ses Études sur l’hystérie, Freud, inventeur de la psychanalyse, évoque le transfert comme une fausse association2Breuer J., Freud S., Études sur l’hystérie, Paris, puf, 1996, p. 52 et p. 245., une erreur sur la personne, une résistance qui serait liée à des fixations infantiles et pourrait mener jusqu’à la réaction thérapeutique négative. Ce n’est qu’à partir de 1910, que, s’appuyant sur sa clinique, il en fait le moteur de la cure analytique, un levier pour l’interprétation.

Lacan souligne quant à lui que « le transfert se produit justement parce qu’il satisfait la résistance […]. Nous voyons en un certain point de cette résistance se produire ce que Freud appelle le transfert, c’est-à-dire ici l’actualisation de la personne de l’analyste3Lacan J., Le Séminaire, livre i, Les écrits techniques de Freud, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 51 et p. 53.». Mais puisque cette résistance relève de l’inconscient et non du moi, elle en est aussi un accès. C’est pourquoi le transfert est à la fois ouverture et fermeture de l’inconscient, à la fois lien et séparation : c’est lui qui fait le bord entre la pulsion et l’Autre. Ce qui opère du transfert tient à cette situation d’interface. C’est en quoi il ne se résout pas à être une simple répétition. Certes, « c’est un amour factice, mais il est de la même étoffe que l’amour vrai4Miller J.-A., « On aime celui qui répond à notre question : qui suis-je ? », Psychologies, 19 novembre 2015, disponible sur Internet.». C’est ce qu’a d’authentique cet amour qui donne son poids à ce que dit l’analysant dans son adresse à l’analyste, comme à ce que ce dernier interprète.

Tout au long de son enseignement, Lacan a fait valoir les paradoxes du transfert et l’importance de son délicat maniement. Dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, le transfert est « la mise en acte de la réalité de l’inconscient5Lacan J., Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 133.» en tant qu’elle est sexuelle et articulée à la pulsion. À la fin de ce Séminaire, Lacan introduit le « sujet supposé savoir », comme fonction supportée par l’analyste. À la fin de son enseignement, un renversement s’opère. Ce n’est plus le sujet supposé savoir qui est le pivot du transfert mais, comme le fait remarquer Jacques-Alain Miller, « le transfert [qui] est pivot du sujet supposé savoir. […] Ce qui fait ex-sister l’inconscient comme savoir, c’est l’amour6Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental, no15, février 2005, p. 27.». C’est peut-être ce en quoi le transfert a chance de toucher au réel de la jouissance, et d’en remanier le symptôme.


  • 1
    Lacan J., Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 141.
  • 2
    Breuer J., Freud S., Études sur l’hystérie, Paris, puf, 1996, p. 52 et p. 245.
  • 3
    Lacan J., Le Séminaire, livre i, Les écrits techniques de Freud, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 51 et p. 53.
  • 4
    Miller J.-A., « On aime celui qui répond à notre question : qui suis-je ? », Psychologies, 19 novembre 2015, disponible sur Internet.
  • 5
    Lacan J., Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 133.
  • 6
    Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental, no15, février 2005, p. 27.