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Voyage au pays des psychoses. Ce que nous enseignent les psychotiques et leurs inventions

une lecture d'Isolde Huba-Mylek

Augustin Ménard
Références
Voyage au pays des psychoses. Ce que nous enseignent les psychotiques et leurs inventions
Augustin Ménard
Éditeur, ville

Champ social éditions

Pages

103

Année

2008

11/06/2024
Isolde Huba-Mylek
  • Avec son livre Voyage au pays des psychoses. Ce que nous enseignent les psychotiques et leurs inventions1Ménard A., Voyage au pays des psychoses. Ce que nous enseignent les psychotiques et leurs inventions, Champ social éditions, Nîmes, 2008., Augustin Ménard nous embarque en terre psychotique pour un voyage passionnant et très enseignant. La fine articulation de la théorie avec la clinique bouscule les frontières entre névrose et psychose et démontre avec précision la pertinence du dernier enseignement de Lacan. L’auteur déroule tout au long de son texte un argumentaire soutenant tout l’intérêt de la clinique borroméenne et de l’orientation à partir du réel. Augustin Ménard témoigne ainsi d’une clinique continuiste qui rend compte de « l’effort de chacun quelle que soit sa structure pour trouver sa solution propre2Ibid., p.12. ».

    Suivant les pas de Freud et de Lacan, l’auteur rappelle que la psychanalyse restitue au sujet la parole, qu’il soit névrosé ou psychotique. Du fait même que l’Homme est un être parlant, aliéné au langage, la folie est inhérente à son humaine condition. Ainsi, « nous sommes tous confrontés au réel de la jouissance comme impossible à supporter si elle n’est pas atténuée, pacifiée, apprivoisée pour convenir à une satisfaction, même si celle-ci doit excéder le plaisir.3Ibid., p.23. » Cette aliénation du sujet au langage vaut pour chacun, psychotique ou non. Mais dans la psychose, l’opération de séparation introduite par le signifiant qu’est le Nom-du-Père fait défaut et l’objet reste non séparé du sujet, ce qui entraîne toutes sortes de conséquences dont il s’agit d’être averti pour accueillir avec tact les dires des patients psychotiques.

    Mais l’auteur rappelle qu’au-delà d’un déficit, ce rejet de la métaphore paternelle est avant tout un acte qui découvre un gouffre, et que ce gouffre entraîne un « pousse-à-créer ». L’invention découle de ce « défaut d’une solution valable pour tous qui impose à chacun de chercher la sienne4Ibid., p.101. ». Augustin Ménard propose d’ailleurs de parler des psychoses, au pluriel, « dont il y a autant de formes que de sujets, et dont la solution pour chacun est unique5Ibid., p.11. ». Il s’agit de repérer ce qui, pour chacun, fait nouage.

    « Nous avons là la source de la créativité. C’est cet impossible à supporter qui pousse, contraint, par une nécessité absolue le sujet à élire, inventer ce qui viendra faire nouage, une butée à partir de laquelle pourra se faire une reconstruction.6Ibid., à propos de Madame O., p.16. »

    Augustin Ménard met en lumière la singularité de chaque invention et fait valoir le particulier. En donnant la parole aux psychotiques, en tirant enseignement de celle-ci et en nous le transmettant, il nous enseigne que « chaque trouvaille est un éclair de vie7Ibid., p.102. » qui apporte au sujet stabilisation. Il nous invite à tendre l’oreille à la lalangue de chaque psychotique, à son usage singulier de la langue sur son versant du sens joui et non du sens. À propos d’une patiente, Madame P., il écrit : « Faut-il parler la langue de ce sujet, quitte à délirer avec lui, ou l’aider à traduire sa langue dans la nôtre ? C’est un faux débat. Ce que doit produire notre acte, c’est une aide à la construction “d’une élucubration du savoir sur la langue”, dont elle puisse se soutenir et qui ne peut être que la sienne.8Ibid., p.57. » Il nous livre ainsi une véritable éthique de laquelle s’orienter dans la conduite d’une cure avec les psychotiques. Dans le transfert, l’analyste n’est pas appelé du côté du savoir, mais apparaît comme « témoin » dans la quête du psychotique « d’une limitation à sa jouissance9Ibid., p.77. ». Témoin qui par sa neutralité et ses demandes de précisions permet au sujet de construire son délire, ou tout du moins accuse réception du mal-être insupportable du patient.

    Ainsi, l’analyste n’est pas à l’interprétation, dont le patient s’occupe très bien tout seul. Mais il n’est pas passif pour autant, « il est à l’acte10Ibid., p.84. » nous glisse-t-il. L’analyste se doit d’intervenir sur la jouissance : « Il peut et doit prendre la parole en disant non, pour limiter souvent une jouissance trop intrusive et éviter parfois un passage à l’acte.11Ibid. » L’orientation de l’acte de l’analyste doit « permettre à chacun de jouer sa partie12Ibid., p.103. ».

  • 1
    Ménard A., Voyage au pays des psychoses. Ce que nous enseignent les psychotiques et leurs inventions, Champ social éditions, Nîmes, 2008.
  • 2
    Ibid., p.12.
  • 3
    Ibid., p.23.
  • 4
    Ibid., p.101.
  • 5
    Ibid., p.11.
  • 6
    Ibid., à propos de Madame O., p.16.
  • 7
    Ibid., p.102.
  • 8
    Ibid., p.57.
  • 9
    Ibid., p.77.
  • 10
    Ibid., p.84.
  • 11
    Ibid.
  • 12
    Ibid., p.103.