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Retour à l’Unerkannt du trou
Le titre : l’impossible espoir
Dans son ouvrage Les Promesses de l’impossible1Ménard A., Les Promesses de l’impossible, Nîmes, Champ social, 2020., Augustin Ménard est parti de cette phrase de Freud : « Il semble presque, qu’analyser soit le troisième de ces métiers “impossibles”, dans lesquels on peut d’emblée être sûr d’un succès insuffisant, les deux autres connus depuis beaucoup plus longtemps, sont éduquer et gouverner.2Freud S., Résultats, Idées, Problèmes, Paris, PUF, 1987, p.263. » Ces trois métiers seraient donc « sûrs d’un succès insuffisant » pour résoudre en somme le non-rapport-sexuel. La promesse d’aller mieux, si on dit ce qui vient à l’esprit, rencontre la butée de la castration qui n’est que le trou constitutif du langage incorporé.
Cette phrase comporte les signes d’une hésitation. À côté du « presque » que souligne Augustin Ménard, ajoutons que Freud met impossible entre guillemets ! Doit-on en conclure qu’il faut garder l’espoir de supprimer cet impossible ? Non. Ce « succès » raté est l’occasion de repartir à l’envers du sens pour rencontrer le réel du trou que l’angoisse et le symptôme nous empêchent d’ignorer.
Le trou : le retournement
Si Augustin Ménard fait « l’Éloge du trou », titre d’un chapitre qui donne le ton à son ouvrage car c’est bien une affaire de trou qui en constitue le fil conducteur, on pourrait y ajouter celui du hiatus qui fut employé par Lacan en 1929 dans un poème de jeunesse : « Hiatus irrationalis3Lacan J., « Hiatus irrationalis », Le phare de Neuilly, n°3/4, 1933. ».
Ce trou originaire, issu de la percussion de lalangue sur le corps, n’a pas de trou et ne manque de rien. En effet le manque nait de la recherche sans fin du sujet pour recouvrir ce trou qui ex-siste mais Unerkannt, non reconnu.
Le terme de promesse comporte une équivoque logique. D’un côté la promesse au sens d’un espoir qui reste dans la logique du sujet du signifiant. De l’autre, pour un corps parlant, le retournement vers ce réel qui produit le ressenti d’une libération de la prison du sens dans laquelle il s’était abrité avec l’ouverture à une disponibilité créatrice. C’est par l’acte d’un consentement, lors du surgissement imprévu d’un réel, que l’éprouvé de cet éveil peut se manifester. La consistance trouée du corps dans lequel est ressenti cet événement de corps signale bien un autre imaginaire que celui du miroir.
Les écritures
Pour transmettre cette orientation, Augustin Ménard s’appuie, dans les dix-huit chapitres autonomes de son ouvrage, sur les différentes écritures dont s’est servi Lacan : la logique de Peirce, la topologie du tore, et pour la distinction du vrai et du faux trou, de l’intersection entre deux cercles. Les nœuds borroméens reprendront la triade des dimensions exposée dès 1953 et exploitée par Lacan jusqu’à la fin de son enseignement sous différentes formes. C’est la pragmatique d’un « savoir y faire » avec le trou par un nouage qui supplée à la forclusion généralisée. Par contre, si le trou reste situable avec le nœud à trois mis à plat, ce n’est pas le cas avec le nouage à quatre du parlêtre.
Signalons encore, l’illustration de cette clinique continuiste avec « La maniaco-dépressive », auquel Augustin Ménard consacre un chapitre entier de son livre, un livre exigeant et dense, qui nous propose un vrai « mode d’emploi » des outils du dernier enseignement de Lacan.
- 1Ménard A., Les Promesses de l’impossible, Nîmes, Champ social, 2020.
- 2Freud S., Résultats, Idées, Problèmes, Paris, PUF, 1987, p.263.
- 3Lacan J., « Hiatus irrationalis », Le phare de Neuilly, n°3/4, 1933.